2012-04-27

Lettre ouverte à l'Homo Sapiens

 Un vieux texte que j'aime ressortir...



Nous, CyBorgs,
Il y a bien longtemps de cela, nous étions des êtres faibles.
L’expansion de notre engeance était lente et incertaine : nos enfants restaient trop longtemps dépendants de leur mère.
Il fallait souvent fuir et surtout nous cacher, car, en plus, nous n’étions pas assez rapides face à nos prédateurs et concurrents.
Mais, grâce à cette crainte permanente nous avions pris l’habitude de partir à la recherche d’autres territoires. Nous avions pu voir ainsi tant de choses étranges et merveilleuses. Nous avions même dû être fratricides et éliminer ces semblables qui nous empêchaient de survivre et d’aller plus loin.
Nous étions si faibles. Il nous fallait impérativement récupérer plus d’énergie et en dépenser moins. Déjà, nous étions très habiles en comparaison des autres êtres organiques. Nous pouvions utiliser divers outils contondants, voire tranchants qui venaient compenser notre manque de force. La maîtrise de l’énergie vint avec celle du feu. Nous pouvions enfin améliorer notre vie d’animaux. Et la première étape fut d’assimiler plus facilement l’énergie que nous arrachions aux autres êtres, car, l’assimilation, n’est pas l’apanage des Borgs. Nous, tous les êtres vivants, la pratiquions à l’aube de la vie. La digestion devenue plus aisée, plus rentable, nous permettait de mieux exploiter notre cerveau biologique. Une meilleure protection environnementale nous permettait de diminuer le stress. Réfléchir devenait possible.
Derrière toutes ces choses étranges et merveilleuses que nous avions observées, qu’elle était la main qui allumait le feu de la vie et de la création ? Cet animal, probablement semblable à nous mais invisible, ce génie manipulateur, nous l’avions déifié. Et par la suite, ces divinités rendues immortelles nous assuraient l’éternité puisqu’elles étaient à l’image de nos réflexions.
Nous découvrîmes aussi que non seulement les protéines étaient assimilables, mais que le savoir-faire des animaux supérieurs pouvait être habilement exploité. Pour en tirer un meilleur parti, nous commencions à cultiver les espèces peu évoluées et à apprivoiser les plus complexes. Nous avions découvert la valeur de la récompense et du châtiment. Or les dieux que nous avions créés à notre image devaient obligatoirement utiliser les mêmes stratégies. Bien interpréter ces lois, c’était bien maîtriser le collectif. Mais ceci est une autre histoire, c’est l’Histoire. Peut-être un jour, me lancerai-je à vous la narrer. Mais à présent, je ne viens que pour balayer votre ingratitude, frères. Car je suis déçu de voir combien, soit vous nous craignez, soit vous nous méprisez.
Notre ignorance nous poussait à croire aux mythes que nous créions mêlant pragmatisme et rituel. Car si nos vêtements nous protégeaient des intempéries, les tatouages eux nous élevaient à un niveau supérieur de bravoure. D’autres pratiques chirurgicales, ablations, perçages et autres nous rapprochaient des divinités. Les bijoux, panaches autant sexuels que protecteurs, gagnaient en efficacité lorsqu’ils se fondaient dans les chairs. Intuitivement nous voulions nous grandir en retravaillant notre corps.
Il est probable que les premiers appendices pratiques furent dentaires - ce qui prouve combien nous étions faibles, et inadaptés.
Notre force résidait uniquement dans notre cerveau. Aussi, ce fut lui qui s’enrichit le plus d’appendices très sophistiqués, et en premier de mémoires supplémentaires et spécifiques. La pierre fut le premier support fiable de longue durée. Les messages qui y étaient peints ou gravés traversèrent ainsi des millénaires à l’abri dans des grottes.
La mémoire est une trace temporelle. Le rythme de l’univers peut se lire dans les étoiles. Mais saisir le temps à portée de main, menotté au poignet, pouvait nous rendre plus efficaces.
Ainsi les premiers véritables outils qui vinrent nous équiper furent la mesure du temps écoulé. Des douzaines d’heures purent ainsi cadencer notre vie dans les métropoles où l’optimisation du temps permettait de produire toujours plus.
Toujours plus ! Au fur et à mesure que notre arsenal mémoriel s’enrichissait nous en vînmes à gérer les comportements collectifs en temps réel. Les sondages pouvaient même permettre de prévoir notre comportement.
Muni d’un sac à dos, ou d’un sac à main, nous pouvions nous équiper de micro-ordinateurs, téléphone portable, casque audio, récepteur radio, tout le futur paquetage du parfait Borg ! Il suffisait de se brancher pour connaître ce qu’il y avait à savoir.
Bien sûr tout cela ne fut pas implanté au départ, car les besoins ne se faisaient pas ressentir. Seuls le remplacement de certains organes et le renforcement de certaines structures affaiblies furent tolérés par l’Ancêtre. Il fallait passer par cette étape pour s’assurer du bon couplage entre le biologique et le synthétique. Après, ce ne fut plus qu’un jeu d’enfant : le sexe, la guerre et la puissance ont trop d’attrait pour l’Homo Sapiens. Les premiers pas vers les Borgs furent encore à ce prix, silicones, drains et régulateurs s’infiltrèrent petit à petit dans les chairs et les habitudes. C’était à l’aube de ce que l’Ancêtre, l’Homo Sapiens, appelait le troisième millénaire.
Toute résistance est inutile, nous vous attendrons.
édité le 25.07.2002 sur La vie artificielle

2012-04-20

Extrait Terra se meurt

Extrait du volume V de la Légende de Hôdo : Terra se meurt publié chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189647)

Chapitre 3. Le passage.

Les Synths étaient si imprégnés de culture terrienne, que chacune de leurs cités en évoquait un mythe. Ainsi, la ville construite au pôle Nord géographique de Diana s'appelait Thulé, et celle du Sud, Ushuaïa. La première était la plus importante des quatre agglomérations mystiques, et la seconde servait de balise spatiale. Les cités mystiques étaient très peu fréquentées par les autres humains, car en plus d'être intimes aux Synths, c'était aussi dans leurs souterrains que l'énergie des étoiles était collectée, traitée et redistribuée. C'était des zones éminemment dangereuses.
Thulé fut la première visite de la Doyenne après l'annonce de la fin prochaine de Terra dans le conseil général de Hôdo.
Dès qu'elle arriva, elle se dirigea vers la salle des compassions du complexe. Les salles étaient décorées de motifs géométriques ou des représentations de l'espace. Un flamboiement mouvant de fractales multicolores éclairées par des polyèdres translucides décorait l'allée principale pour déboucher dans une salle en forme de gouttelette posée sur une surface lisse aux couleurs presque délavées. Au centre, un grand cube transparent abritait la prêtresse des lieux.
La Doyenne rabaissa sa cagoule et ôta son masque inexpressif.
— Le temps venu, articula le visage de matériaux composites où seuls les dents et les yeux avaient quelque chose d'humain.
La prêtresse sortit du cube comme si les côtés n'étaient pas fermés.
— Tu es sûre Moka ? demanda-t-elle.
— Oui soeur Magda, nous ne sommes pas immortels. Cela pourrait étonner les Organos, mais mes articulations me font mal maintenant.
— Une excuse pour justifier ton abandon ?
Sans chair, il était impossible de savoir si la Doyenne souriait.
— Non ma chère soeur, ma vieille amie. Tout est usé maintenant. J'ai fait mon temps. Trop d'amis de toutes espèces m'ont déjà quitté, engluant de plus en plus ma mémoire dans les souvenirs des bons moments passés.
Moka, la Doyenne, enchaîna :
— Quand tu avais refusé de prendre la cape de doyenne, tu m'avais dit que ta place était dans les trois temples.
— Certes, oui, je suis un peu la prêtresse de tous, pas la doyenne.
— As-tu déjà fait des cérémonies funèbres sur Hôdo et Chica ?
— Plus souvent que je ne l'eusse souhaité.
— Tu me raconteras cela quand l'heure sera venue, mais avant il faut que je la voie.
— Elle est ici, elle t'attendait. Suis-moi, ce n'est pas ici que nous procéderons.
Les deux Synths se rendirent dans une salle creusée de niches, au centre de laquelle une table octogonale diffusait l'unique éclairage de la pièce.
Magda glissa légère comme un fantôme sans le moindre froissement de tissu ni le moindre frôlement de pas vers l'une des innombrables loges.
— Étrange, n'est-ce pas, qu'en ce lieu, nous ayons le besoin de parler comme les Organos, chuchota Moka.
— Nos facultés de télécommunication sont inhibées dans cette pièce pour atteindre le silence qui nous oppresse tant.
— Magda, va me la chercher, je souhaite que tu restes ici. J'ai si peu à lui dire, mais c'est important pour moi, maintenant, murmura Moka qui restait dans la zone éclairée par la table.
Une Synth vêtue de vert émeraude avec un voile cachant un visage tout aussi délabré par les années s'approcha.
— Merci, Afsânè, d'être venue. Acceptes-tu le fardeau que je te lègue ? Il sera bien pire que le mien. Ce ne sera plus un empire prospère que tu gouverneras, ce ne sera pas comme moi, un monde d'espoir, demain, ce sera deux mondes, dont un qui disparaîtra en emportant bien des nôtres...
» Demain, il te faudra gérer la panique des Organos, la fureur des Otros et notre émotivité.
» Ah ! pourquoi une telle émotivité a-t-elle pu naître de nos croisements pourtant prudents à chaque procréation ?
— Peut-être parce que ce sont les Organos qui nous ont fabriqués, répondit Magda.
— Je pencherais plutôt sur le fait que les anges gardiens de Hôdo sont plus souvent en contact avec les jeunes Organos et ces derniers sont bourrés d'émotions incontrôlées. Peu à peu, leur émotivité a dû imprégner nos cellules adaptatives et se transmettre dans les mémoires figées. J'ai connu ça mieux que toi, Moka, la solitaire, et je suis apte à accepter le fardeau que tu me confies.
— Je te souhaite bonne chance. Maintenant, que je sais que ma tâche est terminée, je suis prête, Magda. Maintenant, raconte-moi comme cela se passe chez eux. Tu le fais dans un temple ?
— En fait, tu le sais, on ne déconnecte pas les autres humains, sauf quand il n'y a plus d'espoir et que leur intellect est déjà hors service par la maladie ou la souffrance. On les met dans une boîte puis on les pulvérise avec différentes cérémonies selon leurs traditions et religions qu'ils ont nombreuses.
» Pour les Otros non clonés, c'est souvent une libération, car en plus ils souffrent souvent de sévères dégénérescences avec le temps.
» Pour la plupart des Organos, c'est une catastrophe. Aussi, nombre d'entre eux ont des croyances qui promettent, sinon une meilleure vie après la mort, du moins une survie quelque part ailleurs.
— Et toi, qu'en penses-tu, Magda, toi, la religieuse ?
— D'aussi loin que je regarde l'univers, dans le temps, dans l'espace, je me retrouve toujours au beau milieu de questions. Derrière chaque question, il y a d'autres questions, mais une seule me vient à l'esprit : si tout ça n'est qu'un mirage qui se reflète à l'infini, alors, quel gâchis, s'il n'y a quelque part dans toute cette illusion, une oasis !
Un souffle malicieux s'échappa de la bouche sans forme de Moka, l'ex-Doyenne.
— Alors pour toi, j'espère être la bouée jetée à la mer des illusions. Sinon, j'aurais sur la conscience de vous en avoir donnée une.
— Non ! tu as été l'une des trois premières éveillées, et la première autonome. Mais si cela n'avait été toi, une autre gyno aurait vu le jour. Nous avions été créées avec le besoin de trouver des réponses aux questions. Tôt ou tard, nous nous serions posé ces questions qui font réfléchir.
Elle regarda la Lune de Diana, Cristal. Leur lune, puisque c'était eux les Synths qui lui avaient donné ce nom.
Un nuage de souvenir traversa l'esprit de Moka qui se souvenait de ses aventures, du premier voyage avec ces humains si fragiles que sont les Organos. Elle se souvenait avec précision de son « père », Nic et de sa descendance. Elle se souvenait de ses aventures tumultueuses sur Terra.
Les homo syntheticus n'avaient pas besoin d'eau, d'air et d'une gravité proche de l'unité standard. Leurs besoins étaient principalement informatiques et aussi métallurgiques pour naître et se réparer, ce qu'ils essayaient de contourner le plus possible grâce aux technologies des habitants de Jikogu. Tout cela pour devenir plus proches de la matière organique.
Rêves, rêves !
Tout cela, pour vivre avec les Organos, et maintenant qu'ils en devenaient proches, ils s'en éloignaient, car, si officiellement les Synths préféraient vivre à l'écart, sur Diana, pour beaucoup de motifs, c'étaient pour une tout autre raison ignorée de pratiquement tout le monde : les Synths étaient devenus hyperémotifs. Donc, aux yeux des Organos, ils risquaient de perdre leur « objectivité », leur « innocuité ».
Moka ne croyait pas à cette hypothèse. Elle savait qu'elle souffrait plus parce que la mémoire des Synths ne décline pas avec l'âge.
— C'est le souvenir qui me vieillit, confia-t-elle à ses deux voisines.
» Les Organos ont la faculté de l'oubli.
» Mais nous...
» À force, nous ne sommes plus capables de choisir. De plus en plus limités par la sagesse qui recommande d'éviter tout risque inutile. Et finalement, tout devient inutile et vain.
» Choisir, voilà une mission de l'intelligence, et pourtant, tout semble déjà écrit, alors pourquoi choisir ?
Magda hocha la tête.
— Oui, tu es vieille, mon amie, quand tu parles ainsi.
— Maintenant te voilà convaincue qu'il te faut m'éteindre.
— Serait-ce une ruse pour me pousser à le faire ?
Un sourire énigmatique de Moka ne put se dessiner sur le visage décharné avant de reprendre.
— Mais promets-moi de recycler toute la matière de mon organisme. Je ne veux pas qu'on me transforme en statue commémorative de...
Sa voix s'étrangla avant d'aller s'allonger sur la table lumineuse.
» J'aurais tellement voulu revoir les visages de mes souvenirs, reprit-elle.
» Pourquoi ? Ils ne sont plus. Sauf peut-être dans un autre univers ou un espace de phase, déjà écrit quelque part entre tous les infinis.
» Laisse-moi regarder les étoiles, encore une fois.
» Que ce soit la dernière image qu'aura enregistrée Moka, la gyno astronaute !
» ...
» Je pense que Nic aurait été fier de moi.
Même à l'extinction, Moka garda les yeux ouverts sur le firmament.

Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Terra se meurt

2012-04-10

Extrait Jikogu


Extrait du volume IV de la Légende de Hôdo : Jikogu publié chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189524)

Chapitre 2.- Bienvenue.

Le monde nouveau commençait à apparaître sous les regards multiples de l'Argonaute qui balayaient l'astre sous tous les spectres. Il s'agissait d'un monde étrange vivant et pourtant immobile. En effet, les détecteurs du vaisseau qui captaient de plus en plus des signaux émanant de la planète ne décelaient pas, ou presque, de mouvement. Il n'y avait pas de satellites artificiels, pas d'engins ni roulants, ni volants, ni voguant.
Pourtant, ce monde communiquait ! Et le bruit ressemblait curieusement à celui d'un ordinateur.
Cette planète en était une et pas un gigantesque satellite artificiel. Des océans recouvraient une grande partie de la surface et des rivières traversaient d'étranges villes. Fallait-il d'ailleurs appeler cela, des villes ?
Il s'agissait effectivement d'assemblage de structures métalliques et composites donnant l'impression de bâtisses. Tous les « toits » noirs semblaient être des panneaux solaires et de la chaleur se dégageaient des « fenêtres », mais il n'y avait pas de routes, pas le moindre chemin allant d'un « bâtiment » à l'autre. Seuls, les canaux pouvaient faire office de moyen de transport comme une Venise sans gondole glissant sur l'eau limpide et sans doute inodore. Un terrain dantesque séparait les mystérieuses cités du paysage naturel et sauvage local : glace, steppe, prairie, bosquet, forêt... Ces terrains rocailleux aux couleurs chaudes des jaunes parfois veinés de vert jusqu'aux ocres piquetés de taches écarlates étaient parsemés de fumerolles. Ces dernières auraient pu indiquer la présence d'activité volcanique si leur distance par rapport à la cité et au milieu naturel environnant n'était pas directement liée à leur acidité. En effet, les plus proches des limites de cette zone ardente étaient des vapeurs inoffensives d'eau, mais les plus médianes contenaient en général de l'acide sulfurique et d'autres éléments corrosifs. Non seulement, l'éloignement des gaz indiquait une certaine logique, mais il était aussi visible que les vents dominants influaient sur la répartition de ces étranges sources. Même les petits cônes volcaniques d'où fusaient les plus légères volutes évoquaient des cheminées sciemment érigées par d'invisibles, mais industrieux habitants. Car vraisemblablement, la cause de cet arrangement était due à la présence des « villes ».
Le sentiment qui m'envahissait était mêlé d'exaltation et d'appréhension. Il y avait de la vie. Au moins végétale. Il y avait peut-être de l'intelligence évoluée habitant ces villes.
Mais, s'il y avait des êtres doués de raison, ils semblaient ne pas éprouver le besoin de se déplacer physiquement. En tout cas, il n'y avait pas de voies de circulation sur lesquelles pourraient se déplacer des véhicules, pas de piste pour faire décoller des engins. Il n'était pas évident de trouver un endroit où poser l'Argonaute. À la rigueur, les canaux étaient suffisamment larges pour y amerrir avec une navette. Mais, il n'y avait pas d'endroit où accoster : les rivières n'étaient pas utilisées pour naviguer.
Il fallait donc se résoudre à se rapprocher de la surface de la planète et la balayer en orbite basse, ce qui risquait de prendre plus de temps, mais aussi, d'être plus facilement détectable.
Les eaux, celles des océans comme celles des lacs, se montraient sous leur naturel écologique. Aucune île artificielle ne s'y épanouissait, aucun esquif ne s'aventurait même le long des berges et des plages. On eût dit qu'il s'agissait des mers et des fleuves de Hôdo, car il n'y avait pas de gros nageurs comme les cétacés de Terra. Pourtant, des bancs de poissons argentés venaient frétiller à la surface probablement en quête d'une nourriture flottante, avant de s'enfoncer dans leur monde de silence et d'obscurité glauque.
Soudain, un phénomène sur la terre ferme attira toute l'attention de l'Argonaute et la mienne. Un point lumineux se mit à briller de mille feux. L'éclat lumineux était humainement indescriptible, car la vue ne permettait que de voir les couleurs de l'arc-en-ciel, or ce mystérieux diamant reflétait toutes les ondes du spectre connu, et sans doute plus. En soi, l'apparition soudaine de cette source était pour le moins surprenante. Mais sa position me faisait penser qu'il ne s'agissait vraiment pas d'un hasard, car ce signal était juste sur l'équateur, du côté obscur de la planète.
Il n'était pas possible de changer rapidement l'orbite et il nous fallut attendre le tour suivant pour découvrir que deux autres points semblables avaient surgi dans deux « cités ». Les trois points correspondaient à un grand cercle.
Il devenait évident qu'une intelligence jouait avec la géométrie et maîtrisait certains aspects de la physique. Je n'osais pas en deviner plus sur cette manifestation. N'avait-on pas souvent fantasmé sur le savoir de certaines cultures disparues, en prétendant « chiffre » à l'appui, qu'elles possédaient une science quasiment extra humaine. Mais les chiffres, je savais comment les manipuler pour démontrer l'absurde.
Il y avait quelque chose là-bas, c'était sûr ; là s'arrêtaient pour l'instant mes observations. J'avais l'intuition qu'il fallait réorienter notre orbite pour suivre l'indication qui était apparue.
À peine l'orbite fut-elle ajustée pour être dans le même plan que les trois points lumineux que trois autres balises s'allumèrent, l'une située dans une « cité » localisée sur un autre continent éclairé par l'astre du jour d'une autre civilisation.
Soudain, à l'intersection de ma trajectoire et du méridien apparut une source intense tel un gyrophare. Je changeai encore une fois d'orbite afin de me mettre en stationnaire au-dessus de ce dernier signal.
L'endroit ressemblait à un Colisée géant. La piste y était extraordinairement plate et horizontale, je pouvais y poser sans problème l'Astrolab.
J'hésitais. N'était-il pas plus sage d'atterrir avec seulement un tycho-drôme? Ces navettes permettent un décollage rapide en cas de nécessité et un retour en lieu sûr. Finalement, j'optai pour descendre avec le lourd milanaute, car j'aurai sûrement besoin de son cerveau pour m'aider à appréhender ce que nous pourrions découvrir sur ce monde nouveau qui semblait nous accueillir. Ou nous tendre un piège.
L'Argonaute calcula une trajectoire compliquée pour descendre à vitesse lente vers la piste, car, s'il pouvait supporter de hautes températures dans l'espace, il n'était pas comme les navettes, munis d'un bouclier absorbant la friction d'une atmosphère dense. Ainsi, le vaisseau se posa pratiquement à la verticale au milieu du cirque tout en métal et matériaux composites.
Pendant la manoeuvre, je n'avais observé aucun signe de vie, aucun signal sous aucune fréquence autre que celui de la balise qui nous avait conduit jusqu'à cet endroit. Rien.
Je restai immobile dans ma cabine, à l'affût du moindre détail qui indiquerait une quelconque hostilité. Le silence était absolu.
Finalement, je fermai mon casque hermétiquement, non que l'atmosphère fut toxique, mais la combinaison de survie des astronautes était une protection contre les radiations, les fluides nocifs ou corrosifs et contre les microbes, même filtrants, du moins en théorie jusqu'à preuve du contraire.
Je sortis et, ému, foulai le sol d'un monde inconnu. La plateforme était souple et adhérente comme un caoutchouc granuleux.
J'avançai précautionneusement, sur ce sol qui semblait fait d'une seule pièce, au hasard, droit devant moi.
J'avais parcouru la moitié de la distance qui séparait le Livingstone des « gradins » (j'appelais ainsi ces constructions par analogie aux cirques romains), lorsqu'enfin, quelque chose bougea devant moi.
J'ajustai ma visière pour agrandir l'image. Un être, bipède, ressemblant à un kangourou de Terra s'approchait de moi. La tête, plantées sur un cou invisible, n'avait en revanche rien du sympathique bipède marsupial. C'était une espèce de méduse avec deux yeux de limaces. Ce qui devait être la face portait en guise de barbe deux paires de tentacules. Et les cheveux étaient remplacés par un voile oscillant. Je n'apercevais ni bouche, ni narine, ni ouïes, ni oreilles, ni aucun orifice.
Lorsque je fus à courte distance de l'être, je m'arrêtai. L'autre aussi.
Nous restions un temps qui me semblait long, immobile. Ou presque, car le voile continuait à vibrer comme mû par une brise régulière.
Nous ne pouvions pas rester pétrifiés ainsi jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je me risquai à lever la main droite en signe de paix chez nous. L'être leva une main à trois doigts triangulaires. J'en déduisis qu'il s'agissait sans doute d'un geste de bienvenue.
Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Ter