2012-04-10

Extrait Jikogu


Extrait du volume IV de la Légende de Hôdo : Jikogu publié chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189524)

Chapitre 2.- Bienvenue.

Le monde nouveau commençait à apparaître sous les regards multiples de l'Argonaute qui balayaient l'astre sous tous les spectres. Il s'agissait d'un monde étrange vivant et pourtant immobile. En effet, les détecteurs du vaisseau qui captaient de plus en plus des signaux émanant de la planète ne décelaient pas, ou presque, de mouvement. Il n'y avait pas de satellites artificiels, pas d'engins ni roulants, ni volants, ni voguant.
Pourtant, ce monde communiquait ! Et le bruit ressemblait curieusement à celui d'un ordinateur.
Cette planète en était une et pas un gigantesque satellite artificiel. Des océans recouvraient une grande partie de la surface et des rivières traversaient d'étranges villes. Fallait-il d'ailleurs appeler cela, des villes ?
Il s'agissait effectivement d'assemblage de structures métalliques et composites donnant l'impression de bâtisses. Tous les « toits » noirs semblaient être des panneaux solaires et de la chaleur se dégageaient des « fenêtres », mais il n'y avait pas de routes, pas le moindre chemin allant d'un « bâtiment » à l'autre. Seuls, les canaux pouvaient faire office de moyen de transport comme une Venise sans gondole glissant sur l'eau limpide et sans doute inodore. Un terrain dantesque séparait les mystérieuses cités du paysage naturel et sauvage local : glace, steppe, prairie, bosquet, forêt... Ces terrains rocailleux aux couleurs chaudes des jaunes parfois veinés de vert jusqu'aux ocres piquetés de taches écarlates étaient parsemés de fumerolles. Ces dernières auraient pu indiquer la présence d'activité volcanique si leur distance par rapport à la cité et au milieu naturel environnant n'était pas directement liée à leur acidité. En effet, les plus proches des limites de cette zone ardente étaient des vapeurs inoffensives d'eau, mais les plus médianes contenaient en général de l'acide sulfurique et d'autres éléments corrosifs. Non seulement, l'éloignement des gaz indiquait une certaine logique, mais il était aussi visible que les vents dominants influaient sur la répartition de ces étranges sources. Même les petits cônes volcaniques d'où fusaient les plus légères volutes évoquaient des cheminées sciemment érigées par d'invisibles, mais industrieux habitants. Car vraisemblablement, la cause de cet arrangement était due à la présence des « villes ».
Le sentiment qui m'envahissait était mêlé d'exaltation et d'appréhension. Il y avait de la vie. Au moins végétale. Il y avait peut-être de l'intelligence évoluée habitant ces villes.
Mais, s'il y avait des êtres doués de raison, ils semblaient ne pas éprouver le besoin de se déplacer physiquement. En tout cas, il n'y avait pas de voies de circulation sur lesquelles pourraient se déplacer des véhicules, pas de piste pour faire décoller des engins. Il n'était pas évident de trouver un endroit où poser l'Argonaute. À la rigueur, les canaux étaient suffisamment larges pour y amerrir avec une navette. Mais, il n'y avait pas d'endroit où accoster : les rivières n'étaient pas utilisées pour naviguer.
Il fallait donc se résoudre à se rapprocher de la surface de la planète et la balayer en orbite basse, ce qui risquait de prendre plus de temps, mais aussi, d'être plus facilement détectable.
Les eaux, celles des océans comme celles des lacs, se montraient sous leur naturel écologique. Aucune île artificielle ne s'y épanouissait, aucun esquif ne s'aventurait même le long des berges et des plages. On eût dit qu'il s'agissait des mers et des fleuves de Hôdo, car il n'y avait pas de gros nageurs comme les cétacés de Terra. Pourtant, des bancs de poissons argentés venaient frétiller à la surface probablement en quête d'une nourriture flottante, avant de s'enfoncer dans leur monde de silence et d'obscurité glauque.
Soudain, un phénomène sur la terre ferme attira toute l'attention de l'Argonaute et la mienne. Un point lumineux se mit à briller de mille feux. L'éclat lumineux était humainement indescriptible, car la vue ne permettait que de voir les couleurs de l'arc-en-ciel, or ce mystérieux diamant reflétait toutes les ondes du spectre connu, et sans doute plus. En soi, l'apparition soudaine de cette source était pour le moins surprenante. Mais sa position me faisait penser qu'il ne s'agissait vraiment pas d'un hasard, car ce signal était juste sur l'équateur, du côté obscur de la planète.
Il n'était pas possible de changer rapidement l'orbite et il nous fallut attendre le tour suivant pour découvrir que deux autres points semblables avaient surgi dans deux « cités ». Les trois points correspondaient à un grand cercle.
Il devenait évident qu'une intelligence jouait avec la géométrie et maîtrisait certains aspects de la physique. Je n'osais pas en deviner plus sur cette manifestation. N'avait-on pas souvent fantasmé sur le savoir de certaines cultures disparues, en prétendant « chiffre » à l'appui, qu'elles possédaient une science quasiment extra humaine. Mais les chiffres, je savais comment les manipuler pour démontrer l'absurde.
Il y avait quelque chose là-bas, c'était sûr ; là s'arrêtaient pour l'instant mes observations. J'avais l'intuition qu'il fallait réorienter notre orbite pour suivre l'indication qui était apparue.
À peine l'orbite fut-elle ajustée pour être dans le même plan que les trois points lumineux que trois autres balises s'allumèrent, l'une située dans une « cité » localisée sur un autre continent éclairé par l'astre du jour d'une autre civilisation.
Soudain, à l'intersection de ma trajectoire et du méridien apparut une source intense tel un gyrophare. Je changeai encore une fois d'orbite afin de me mettre en stationnaire au-dessus de ce dernier signal.
L'endroit ressemblait à un Colisée géant. La piste y était extraordinairement plate et horizontale, je pouvais y poser sans problème l'Astrolab.
J'hésitais. N'était-il pas plus sage d'atterrir avec seulement un tycho-drôme? Ces navettes permettent un décollage rapide en cas de nécessité et un retour en lieu sûr. Finalement, j'optai pour descendre avec le lourd milanaute, car j'aurai sûrement besoin de son cerveau pour m'aider à appréhender ce que nous pourrions découvrir sur ce monde nouveau qui semblait nous accueillir. Ou nous tendre un piège.
L'Argonaute calcula une trajectoire compliquée pour descendre à vitesse lente vers la piste, car, s'il pouvait supporter de hautes températures dans l'espace, il n'était pas comme les navettes, munis d'un bouclier absorbant la friction d'une atmosphère dense. Ainsi, le vaisseau se posa pratiquement à la verticale au milieu du cirque tout en métal et matériaux composites.
Pendant la manoeuvre, je n'avais observé aucun signe de vie, aucun signal sous aucune fréquence autre que celui de la balise qui nous avait conduit jusqu'à cet endroit. Rien.
Je restai immobile dans ma cabine, à l'affût du moindre détail qui indiquerait une quelconque hostilité. Le silence était absolu.
Finalement, je fermai mon casque hermétiquement, non que l'atmosphère fut toxique, mais la combinaison de survie des astronautes était une protection contre les radiations, les fluides nocifs ou corrosifs et contre les microbes, même filtrants, du moins en théorie jusqu'à preuve du contraire.
Je sortis et, ému, foulai le sol d'un monde inconnu. La plateforme était souple et adhérente comme un caoutchouc granuleux.
J'avançai précautionneusement, sur ce sol qui semblait fait d'une seule pièce, au hasard, droit devant moi.
J'avais parcouru la moitié de la distance qui séparait le Livingstone des « gradins » (j'appelais ainsi ces constructions par analogie aux cirques romains), lorsqu'enfin, quelque chose bougea devant moi.
J'ajustai ma visière pour agrandir l'image. Un être, bipède, ressemblant à un kangourou de Terra s'approchait de moi. La tête, plantées sur un cou invisible, n'avait en revanche rien du sympathique bipède marsupial. C'était une espèce de méduse avec deux yeux de limaces. Ce qui devait être la face portait en guise de barbe deux paires de tentacules. Et les cheveux étaient remplacés par un voile oscillant. Je n'apercevais ni bouche, ni narine, ni ouïes, ni oreilles, ni aucun orifice.
Lorsque je fus à courte distance de l'être, je m'arrêtai. L'autre aussi.
Nous restions un temps qui me semblait long, immobile. Ou presque, car le voile continuait à vibrer comme mû par une brise régulière.
Nous ne pouvions pas rester pétrifiés ainsi jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je me risquai à lever la main droite en signe de paix chez nous. L'être leva une main à trois doigts triangulaires. J'en déduisis qu'il s'agissait sans doute d'un geste de bienvenue.
Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Ter

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