2012-08-28

« La liberté est incompatible avec la solidarité »

Voilà encore une de ces fausses vérités dont certains libéraux assènent le bon peuple ! Une phrase choc empreinte de l'illumination du « bon sens ».

Cette petite phrase anodine veut tout simplement dire : il n'y a pas de droit pour les perdants.

La propriété se conquiert, la tour d'ivoire et le jardin secret s'achètent comme le reste. Il ne tiendrait à chacun que de choisir le bon camp, celui des gagnants. Élaborez votre plan de carrière, et avancez comme Orphée sans vous retourner vers vos rêves d'enfance. Gagnez votre pain à la sueur de votre front, dans l'espoir de décrocher la situation qui vous permettra de les réaliser si vous y croyez encore, d'ici là. En attendant, si le travail ne vous a pas broyé, vous pouvez toujours vous consoler en commentant très fortement pour que votre entourage reconnaisse votre grandeur : « À bas les tyrans! Vive la liberté individuelle ! »

Comme si la « liberté absolue » pouvait exister ! La liberté n'a que la place que lui accorde le hasard, un hasard d'ailleurs bien bridé pour reprendre l'expression d'Hubert Reeves.

2012-08-20

Solidarité

 
Nous sommes si nombreux à ressentir la même désespérance, le même espoir...

Nous sommes si nombreux à élever des prières, à crier des slogans, à ciseler des poèmes, à rédiger des romans où l'on parle soit de l'enfer créé par l'humain, soit du paradis qu'il pourrait créer...
Pourtant, inlassablement je reprendrai les paroles de Henri Laborit :
« Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici que cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. » (Dernière phrase citée par H. Laborit-même dans le film mon oncle d'Amérique.)
En effet, cette merveilleuse machine qu'est notre cerveau est par exemple spécialisée pour catégoriser : intelligence indispensable pour rapidement reconnaître ce qui peut nous nuire pour vivre et survivre... Catégoriser, un malheur quand il dessert l'amalgame ! Car l'amalgame jette facilement l'anathème sur la majorité d'une catégorie réunie autour d'une même bannière religieuse-philosophique-économique, empêchant de laisser une chance à l'ennemi de devenir un ami (précepte militaire chinois) et oubliant les dominants qui de tout temps ont eu leurs parachutes dorés ou non.
Il faut un certain courage à défaut de lucidité pour démêler les ficelles de la domination qui transforme la majorité d'entre nous en chair à consommer voire en chair à canon... En effet, la domination sert à fabriquer un environnement adéquat aux dominants en faisant croire aux dominés que c'est pour leur propre environnement. Ces derniers deviennent des complices croyant souvent user de libre arbitre.
Mon voeu le plus cher serait de créer une communauté sans frontières qui s'épaulerait pour garder les yeux ouverts car nous sommes tous susceptibles d'être dominants et dominés, une communauté qui participerait à la libération de l'homme de l'hypnose des prédateurs.

2012-07-02

L'énergie

L'énergie est un concept créé pour quantifier les interactions entre des phénomènes très différents ; c'est un peu une monnaie d'échange commune entre les phénomènes physiques.

Ces échanges sont contrôlés par les lois et principes de la thermodynamique[1].
L'énergie est présente partout, et la célèbre équation E=mc2 nous apprend que même l'« inerte » matière est énergie.
L'énergie potentielle est le « capital » qui permet de produire un travail.
Un être vivant est un transformateur d'énergie et peut capitaliser[2] l'énergie en vue d'une future utilisation. Pour l'être vivant, le but de ces transformations est de fournir un travail qui permettra de maintenir et de développer la vie en transformant cette fois ses structures internes et externes.
Ces transformations s'accompagnent la plupart du temps d'une perte irrécupérable (mesurée par le rendement et contribuant à la fameuse entropie). Elle est généralement provoquée lors d'une résistance s'opposant au travail.
Cette résistance au changement peut être utilement exploitée pour mémoriser des états et donc participer à la pérennité de l'information à la fois pour son stockage et pour sa diffusion.

Notes:
1.- Le corps des êtres vivants est physique : il obéit donc aux lois de la physique. Toute violation de ces lois (appelée paranormale, magique, miraculeuse...) est une incomplète compréhension des lois de la physique. Cela peut provenir en général du fait que le nombre de phénomènes mis en jeu est trop important pour être complètement analysé, la violation est dans ce cas apparente, mais non réelle. Peut-être aussi s'agit-il d'une porte ouvrant sur de nouvelles découvertes, ce qui serait particulièrement utile pour la connaissance, mais, dans ce domaine, les controverses tournent très souvent autour des croyances rendant difficile une certaine et indispensable objectivité. Néanmoins, des chercheurs ont le courage de s'y atteler (cf. par exemple, la zététique)
2.- Capitaliser est à l'origine même de l'existence. La moindre cellule organique capitalise. On peut donc penser que capitaliser pour l'humain est naturel et probablement indispensable. Mais comme toute fonction normale, il peut y avoir une dérive. L'accumulation excessive sans réemploi des graisses à l'intérieur de l'organisme en est un exemple. On peut donc supposer que de l'avarice est une perversion au niveau individuel. Mais le capital au sens politique est un problème qui concerne la domination, un autre problème d'hygiène mentale.

2012-06-19

Système monétaire écologique

Idées pour la création d'un étalon monétaire planétaire indépendant des pouvoirs économiques.

Dans l'esprit de Respecter toute intelligence ainsi que son support (première loi de la Charte de Hôdo), dans l'esprit de maîtriser la dominance, le projet Hôdo propose un nouveau système économique qui évite d’une part le gâchis écologique et d’autre part l’injuste ingérence monétaire et financière des pays dominants à l’encontre des autres ?
Les trois piliers de la mécanique sont la longueur, la masse et la durée. Toutes les autres mesures mécaniques s’expriment au moyen de ces trois grandeurs. Il en est ainsi pour l’énergie, omniprésente dans toute la physique. Ces étalons n’évoluent pas au gré des politiques ni même des techniques. Les progrès scientifiques ne conduisent qu’à plus de précision et plus de fiabilité quant à la définition d’un étalon.
L’énergie est partout dans notre univers, et le travail, qui participe à la transformation d’énergie utilise les mêmes unités. Même la masse est une forme, une manifestation, d’énergie. Ainsi, l’énergie semble tout indiquée pour servir de référentiel monétaire.
La vie est elle-même un perpétuel échange d’énergie. Les êtres vivants dits évolués, dont fait partie l’homo sapiens, ne cessent de vampiriser les moins évolués. Cette règle qui se manifeste même entre homo sapiens commence déjà à l'aube de la vie en se contentant d’énergie « brute » : solaire, géothermique...
Pour acquérir l’énergie dont nous avons besoin, nous devons fournir une série de travaux : bouger notre corps pour capturer la proie, assimiler cette dernière, en rejeter les résidus... Mais nos exploits ne s’arrêtent pas là grâce à notre superbe intelligence. Avant que le rendement soit un leitmotiv de la société de production à la gloire de la consommation, les êtres vivants connaissaient intuitivement ce principe de base de la thermodynamique. Éviter de travailler de trop pour gagner peu ! Même la paramécie dépourvue de cervelle semble l’avoir compris !
Limiter la déperdition d’énergie est aussi capital. Tellement capital qu’il est à la base de notre civilisation et même d’un régime économique : le capitalisme ! C’est pour éviter les pertes thermiques que nous nous sommes voilé nos nudités d’animaux tropicaux à poils raz et épars. C’est pour augmenter artificiellement notre puissance (c'est-à-dire d’augmenter la rapidité d’exécution de notre travail digestif, constructif et autre) que nous avons maîtrisé le feu. C’est pour cela que nous avons développé outils, culture et élevage. C’est pour cela enfin que nous avons réuni ces trois talents en une seule invention : l’esclavagisme sous toutes ses formes !
Dans tout cet étalage de compétences qui met l’homme à la première place de l’évolution (par autocélébration), il n’y a qu’un seul commerce : l’énergie. Ne jetons pas la pierre à nos ancêtres, le concept d’énergie, et par la suite de conservation d’énergie, ne fut perçu que très tard dans notre Histoire. La monnaie fut inventée pour gérer ce flux au fur et mesure que les sociétés devenaient complexes. Mais la société industrielle l’a oubliée, ou plus précisément l’esprit de dominance l’a occulté. Watt aurait pu dire : à travail égal, coût égal !
Une monnaie, tout compte fait virtuelle avant l’heure, basée sur le prétendu étalon qu’est l’or évalué par la monnaie même, n’a de sens que ce qu’on veut lui donner. Or, qui est-ce « qu’on » ? Et comment pourrait-il jouer sur la valeur du joule, de l’erg, ou de l’électronvolt ?
L’actuelle monnaie est engendrée au gré des besoins dans des Trésors sans fin. Ce n’est pas le cas de l’énergie. Contrairement à certains slogans publicitaires, personne ne crée de l’énergie. Nous la prélevons de son capital (celui-là qui appartient à la planète) pour la mettre plus facilement à disposition.
Le capital de la Terre est en permanence (du moins pour assez longtemps) alimenté par le Soleil. Ce dernier ne connaît pas les allocations familiales et éclaire impartialement tous les enfants qui vivent sous les mêmes cieux. La gravitation se charge de répartir les richesses de la planète. Et finalement, là où la vie est possible, l’homme est déjà gratifié d’un revenu minimum vital sans que ce soit un généreux cadeau social.
Les mesures biologiques démontrent que nos besoins énergétiques sont peu différents d’un individu à l’autre, d’un à dix entre les deux extrêmes que représentent le nourrisson et le bûcheron ! Dans notre monde économique, l’écart qui sépare le gavroche du capitaine de multinationale est impudique !
En attendant, ce qui donne droit à l’être humain d’être vivant c’est la rétribution de son travail. Or, une unité de travail coûte la même énergie quel que soit l’habitant de cette planète. Le Joule est identique dans l’hémisphère nord ou sud, à l’occident ou à l’orient. C’est le premier point à établir.
Que les contremaîtres se rassurent : dans cette optique, la paresse engendrant moins de travail, donne moins de salaires. Mais il faut bien rappeler que toute personne intelligente essaie d’être la plus paresseuse possible. C’est l’une des raisons d’être de nos gros cerveaux de rentabiliser nos efforts, c'est-à-dire de gagner le maximum d’énergie en faisant le moins possible. En fait, ce n’est pas tant l’effort fourni dans une tâche, qui devrait être payé, mais le bénéfice énergétique qui, lui, représente une valeur marchande.
Malheureusement la jalousie, l’envie et la méfiance sont sûrement des valeurs qui se partagent plus facilement et équitablement à travers les âges et les cultures. Ces critères psychologiques s’abriteront aisément dans la fameuse règle commerciale de l’offre et de la demande, sanctifiée par de savants calculs statistiques des « sciences » économiques.
Pourtant, l’idée de la rareté et de son prix existe réellement dans la nature. Même au niveau du noyau, les physiciens ont montré une étroite relation entre la fréquence des éléments dans l’Univers et le coût énergétique pour construire les noyaux de ces éléments.
Peut-être faudrait-il, à l’instar de la biophysique jusqu'à l’astrophysique, créer l’écuphysique. Cette science aurait alors la mission non seulement d’introduire une monnaie moins spéculative, mais surtout plus écologique, car elle étudierait les véritables coûts de toute l’activité humaine dans un environnement complet.
Elle pourrait évaluer quel est le véritable prix d’une bouteille en plastique jetée à la mer depuis le pétrole dont elle est issue. Peut-être découvririons-nous au grand dam des producteurs-distributeurs que nous vivons au-dessus de nos moyens, qu’écologiquement, nous sommes surendettés. Et tout cela, pour satisfaire une minorité, qui, paradoxe, clame bien haut leurs convictions démocratiques, et qui devant un tel projet vont lancer des arguments dans le style : « mais que faites-vous de la valeur affective, de la liberté de vendre, de se différencier » (tiens ! là, ce serait autorisé ?)...
Elle pourrait peut-être aussi révéler que tous les conseils « écologiques » ne sont peut-être pas de si bonnes solutions.
L’idéal hôdon est dans l’Intelligence. Plus nous serons à même de déjouer toutes ces petites « hypnoses » qui rendent bien sagement consommateurs, les plus nantis, bien sagement, esclaves, les autres, alors, plus nous pourrons balayer tous les prêt-à-penser afin d’aller toujours plus loin dans notre quête d'Humain dont le but nous échappe, mais qui passe par le bien-être de chacun.
Avant tout, sans vouloir juger du communisme en soi, il ne faut surtout pas oublier que son échec tient probablement plus à l’isolement de son modèle qu'à ses erreurs, d’ailleurs probablement exacerbées par l'enfermement défensif derrière ses murs et ses rideaux de fer. D'une part, les communistes savaient que leur théorie n’avait aucun sens en dehors de toute « internationale ». D'autres part, les maîtres du capitalisme savaient très bien qu’un chien acculé montre les dents, et dès lors, il était facile de l’accuser de la rage. Cela doit servir de leçon aux humanistes de demain. La plupart des projets économiques n'ont de sens que s'ils sont mondiaux, et l'opposition pour garder des privilèges sera toujours très active.
Pourtant, la mondialisation galopante offre l'opportunité d’étalonner la monnaie. Il ne s’agit pas là d’une idée plus utopique que celle qui consista à figer poids, longueurs et volumes pour « protéger » le commerce. Aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée de personne de dévaluer le kilogramme pour vendre plus cher une tonne de matériel !
Heureusement, nous ne sommes plus seuls à penser et oeuvrer pour bousculer l'« Ordre économique » établi: d'autres organisations proposent une nouvelle forme d'économie comme Insolido.

2012-06-10

Savoir-être

Le savoir-être correspond à la capacité de produire des actions et des réactions adaptées à l'environnement humain et écologique. Cette capacité s'acquiert en partie par la connaissance de savoirs spécifiques. Les recherches en éducation relatives au savoir-être ont pour objectif de trouver tous les moyens pédagogiques permettant aux apprenants d'acquérir au mieux la maîtrise d'actions et de réactions adaptées à leur organisme et à leur environnement : préservation de l'environnement, hygiène, empathie, contrôle émotionnel, contrôle comportemental, responsabilisation, actions prosociales, coopération, discours autocentré (langage « je »), gestion des conflits...
Le savoir-être peut s'apparenter au savoir-vivre, parfois au savoir-paraître, mais rarement au savoir-avoir confondu avec le bonheur !
Le savoir-être est enseigné dans de nombreuses philosophies et religions et il est vain de se disputer pour savoir quelle méthode vaut mieux qu'une autre, tout est question de réceptivité. Ainsi, de l'ascèse à l'épicurisme, du hatha-yoga aux différents arts martiaux de maîtrise de soi (aïkido, kendo, kyudo, tai-ji-quan...), les écoles sont nombreuses. Aujourd'hui, les sciences cognitives apportent aussi d'autres enseignements qui vont de la gestion du quotidien aux techniques de communications, toutes souvent basées d'ailleurs sur des techniques ancestrales comme les mantrams.
Mais le savoir-être ne doit pas être un luxe pour nantis. Être heureux devrait être le bien à mondialiser, alors il sera évident qu'il faudra commencer à permettre à tous d'avoir une vie saine plutôt que des normes qui établissent comment mieux profiter de la sueur d'autrui, car souvent, les stratèges qui établissent ces normes savent qu'il vaut mieux partager un peu pour éviter d'être «dépouiller» de plus.

2012-06-02

Cyberplanète

 Projet d'une communauté 3D de type Jeu De Rôle: La cyberplanète Hôdo, un lieu d'expérimentation des thèses sociales de H. Laborit.
Chowa en tenue de survie

Quand nous avons créé Hôdo, nous nous sommes posé la question de savoir comment réunir les Hôdons sur la Toile et expérimenter nos concepts.
Chika en tenue de confort
Nous voulons que notre communauté soit très ouverte. En effet, pour être Hôdon, il suffit de respecter toute forme d'intelligence et de tenter, si non de canaliser nos instincts, d'au moins en comprendre les mécanismes pour éviter que sans cesse l'humanité bascule d'une dominance à l'autre.
Heiko en tenue « libre » sur Hôdo
Non seulement nous ne voulons pas être une « secte », mais nous ne souhaitons même pas devenir une association « officielle », car tout groupe est potentiellement susceptible de devenir dominant.
Et pourtant, nous avons besoin de nous rencontrer pour échanger nos expériences et notre savoir.
Plutôt que de mettre en place un nouveau chat-villageois, nous préférons inventer un univers semi-ludique de type Jeu De Rôle. Ce monde virtuel pourrait accueillir aussi bien le joueur « Hôdon », le visiteur ou l'administrateur et, évidemment, des personnages de synthèses (PNJ, bots...).

Articles détaillées ou de référence

2012-05-23

Univers gigogne

Quelles que soient la forme, la structure, les dimensions de l'Univers... si ce dernier était limité, enfermé d'une manière quelconque dans une topologie tout aussi quelconque, on pourrait se demander alors :
« Ce qui contient cet univers est-il lui, infini ? Et sinon, le contenant de ce contenant, l'est-il à son tour ? Ou bien, y aurait-il une infinité de contenants ? »

2012-05-11

Domination

« Tant qu'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent et tant que l'on n'aura pas dit que jusqu'ici cela a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chance qu'il y ait quoi que ce soit qui change. »[1]

Max Weber définit la domination comme : « toute chance qu'a un individu de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé. » Autrement dit, un dominant est un être et bien souvent un groupe est en position d'imposer, par tout moyen à sa convenance, y compris la force, ses idées, ses lois, sa vérité ou ses croyances voire simplement son bon plaisir.[2]
La domination utilise plusieurs moyens :
  • l’agression (ou de domination par la force) ;
  • la dépendance (ou la menace d'un « manque ») ; ces deux cas ôtent souvent la possibilité de fuite imposant une soumission souvent inconditionnelle ;
  • la manipulation (ou de domination par la ruse).

L'agression

À l'instar de la sexualité, l'agressivité fait partie des briques de base de notre « vitalité ». Elle est indispensable pour agir et aller de l'avant en surmontant voire en détruisant les obstacles. Comme la sexualité, l'agressivité peut être exacerbée, pervertie, mise à l'honneur ou l'index selon les définitions des sociétés. Il est donc très difficile de définir une normalité, mais la sexualité et l'agressivité peuvent s'éduquer afin d'en extraire la violence. Il semble néanmoins que la colère, qui est une émotion d'alerte, soit « techniquement » plus difficilement maîtrisable et en même temps plus facile à induire comme le montrent tous les incitations et enseignements à la haine.
L'attitude sociale qui s'appuie sur l'agressivité, l'agression, est définie comme étant le comportement dont le but est de porter dommage à autrui pour détruire l'obstacle qu'il représente, le résultat étant l'élimination, la fuite ou l'abdication des personnes ou des groupes. L'agression est souvent utilisée dans le partage des dominations de manière défensive ou préventive. Les dominants utilisent souvent le dernier argument pour justifier des guerres de contrôle.
Mais les violences ont un prix élevé aussi pour ceux qui en sont à l'origine. Il existe d'autres méthodes moins destructrices pour imposer sa domination, notamment, la limitation de liberté ou la menace. De plus, l'agression ne prédispose pas à une soumission rentable et le risque de revanche reste présent parfois sur plusieurs générations.[3]

La soumission

La soumission qui est le rapport entre deux entités dont l'une influence le comportement de l'autre peut violer les deux premières lois de la Charte de Hôdo.
La domination s'accompagne souvent, mais pas nécessairement, de l'usage de l'autorité, c'est à dire du droit de pouvoir commander et d'être obéi. L'autorité implique des notions « culturelles » de « légitimité » validant l'obéissance indispensable dans de nombreuses relations fonctionnelles (productives ou relationnelles) : c'est le cas du chef d'orchestre, du chef pompier... [5] Lorsque l'autorité est dévoyée à des buts de domination, elle devient rapidement tyrannie. Elle peut être conquise par la force (donc l'agression) ou par une suite de manoeuvres (comme les flatteusement dénommées « ambitions de carrière ») pouvant conduire à des maltraitances du type harcèlement. Une autorité légitime peut aussi se pervertir. Ces dérives sont à l'origine du concept de l'anarchie.[6]
La soumission à l'autorité est un phénomène bien étudié depuis l'expérience de Milgram, dont l'ampleur des conséquences fait peur, gênant par la même occasion la recherche sur des mécanismes cérébraux qui peuvent pourtant entraîner l'autodestruction du soumis.
La dépendance, présentée souvent comme une « protection » est l'un des arguments de persuasion privilégiés des dominants (mafia « protégeant » son domaine, proxénète « protégeant » sa prostituée, mais aussi État protégeant son peuple ou parent protégeant son foyer...)
En écho à l'appel de H.Laborit cité en tête de cette page, celui de Nicolas Guéguen se doit d'être reporté ici: « Plutôt que d'attendre qu'un tel comportement [la soumission à l'autorité] disparaisse, il conviendrait peut-être que l'on s'évertue à lever les conditions qui permettent l'émission d'un tel comportement afin, éventuellement, d'éviter qu'il ne se produise. » (Pg 67, Nicolas Guéguen, Psychologie de la manipulation et de la soumission, Dunod, ISBN 9-782100-488353).

La manipulation mentale

« L'influence interindividuelle ou l'influence sociale fascine et effraye. (...) les terribles faits divers qui lui sont attribués (Suicides collectifs, crimes rituels…) ainsi que de troublantes études scientifiques (Travaux sur l'hypnose, études expérimentales sur le conformisme ou la soumission à l'autorité…) nous affirment l'existence d'une force quasiment irrésistible et qui pourrait nous pousser à faire ou à penser des choses que nous ne voudrions pas, une force qui pourrait même nous conduire à notre perte. Il y a, avec l'influence, l'idée d'une intrusion, d'un véritable viol de la conscience, de la volonté… qui semble pouvoir passer sous le contrôle ou la volonté d'un autre. Ce n'est plus moi qui veux ou qui agis, c'est la volonté d'un autre qui est entrée en moi et c'est un autre qui agit à travers moi (sentiment de possession) » Stéphane Laurens.
La soumission est d'autant plus efficace que les « victimes » sont consentantes[7]. Plus elles ont l'impression d'agir en liberté, plus elles seront enrôlées, comme s’ils se sécrétaient leur propre dépendance. La manipulation mentale est la plus douce des techniques de domination, mais elle peut être utilisée autant dans un domaine positif comme l'encouragement à surmonter un obstacle que dans un but d'extorsion. Il est donc difficile, là aussi, de déclarer que tout est blanc ou noir[8]. Mais ce qui est important, c'est de savoir que tout le monde l'utilise et pas seulement l'escroc qui essaie d'abuser d'autrui. L'enseignant qui encourage un élève à surmonter l'obstacle utilise à son insu la manipulation mentale, est, hélas, parfois le même qui dévalorisera un autre élève...

L'assertivité et le comportement hôdon

L’assertivité désigne un comportement ou une attitude qui s'appuie avant tout sur le refus d’avoir recours aux trois comportements types à effets négatifs vus plus haut. Néanmoins, ce comportement doit avoir la capacité de défendre ses droits et de garder une attitude de fermeté par rapport aux événements et à ce que l’on considère comme acceptable ou non[9]. Le partage de la liberté[10] implique de toute manière une perte réciproque : l'assertivité recherche les relations harmonieuses de type gagnant-gagnant[11] comme la communication non violente.
L'assertivité a toute une série de recommandations qui sont précisément celles de Hôdo :
  • « Se respecter et se faire respecter » est contenu dans la première loi de la charte de Hôdo qui met l'action sur l'intelligence (la vie et l'environnement en sont des supports).
  • L'affirmation de ses propres limites. La deuxième loi de la charte de Hôdo en découle admettant que chacun doit pouvoir se retrancher dans un abri qui lui permet d'éviter une confrontation insupportable. De plus, Hôdo prône la notion d'humilité scientifique et de vérité ni absolue ni complète.
  • Savoir faire face à des comportements passifs, agressifs et manipulateurs et communiquer efficacement. C'est tout la mission de ce site : découvrir qui nous sommes réellement pour mieux gérer les attitudes destructrices.
  • La technique dite du « disque rayé » (ou Broken record) est considérée comme une technique commune d’assertivité. Dans Hôdo, elle s'apparente à l'usage du « hasard si non consensus » (troisième loi de la Charte de Hôdo) qui est une façon de respecter un accord transitoire tant qu'aucun des partis n'a trouvé une solution consensuelle.
  • La technique dite du « Fogging » qui consiste à commencer par trouver un terrain d’entente en isolant des points sur lesquels un accord est possible, avant de contredire la partie du discours à laquelle on s’oppose se retrouve dans la troisième loi de la Charte de Hôdo qui limite le nombre d'articles au strict minimum.
  • Les techniques dites assertives deviennent sujettes à caution si leur utilisation doit conduire à une forme de manipulation, ce qui serait en profonde contradiction avec le premier principe qui consiste justement à refuser ce comportement. L’assertivité est l’art de la concession et du compromis. Réduire l’assertivité à des « trucs et astuces », c’est en pervertir le sens profond au risque de tomber dans la caricature. C'est pourquoi Hôdo ne préconise aucune technique en particulier pensant qu’à chaque « pédagogie » correspond des pédagogues et surtout des étudiants.[12]
  • Si l’assertivité n’est pas une technique, ce n’est pas non plus une méthode puisque c’est une attitude ou un comportement. C'est pour cette raison que Hôdo devrait être art de vivre, voire une politique.

Notes :
[1] Dernière phrase prononcée par Henri Laborit dans Mon oncle d'Amérique, cf. la transcription du texte du film.
[2] Dans les romans de Hôdo, la domination est omniprésente. Elle hante même les « Les pionniers de Hôdo » qui devront concentrer leur agressivité sur des dangers communs mettant en péril leur survie.
[3] Dans « Homo sapiens syntheticus », deux états en guerre ne savent même plus pourquoi exactement elle perdure.
[4] Dans « Les anges déçus », cet état d'esprit conduira à créer des espèces d'humain dans un but uniquement de « machine intelligente ».
[5] Plusieurs organisations sont décrites dans Hôdo. Quelques « héros » rentrent dans la catégorie des « autorités sociales » dont les principaux sont Nic (« Pionniers ») et Afsânè (« Les anges déçus », « Terra se meurt »).
[6] Le principe politique de Hôdo est acratique pour se distinguer par rapport à l'anarchie au sens péjoratif devenu commun. Il n'y a pas rejet systématique de la hiérarchie même s'il y a risque de déviance.
[7] Voir par exemple, « La soumission librement consentie » des psychosociologues français Joule et Beauvois.
[8] La « manipulation » est souvent utilisée par les androïdes de Hôdo comme technique d'aïkido, pour détourner l'agressivité des humains.
[9] La démagogie est une forme manipulatrice de domination qui se substitue par ruse ou par faiblesse à la volonté de défendre certains consensus demandant une autorité pour la gérer. La démagogie se drape souvent de [tolérance et compassion]voire d'[Amour (Henri Laborit)|amour].
[10] La liberté est un concept très flou développé plusieurs fois dans ce site et les romans de Hôdo.
[11] « Ni vainqueurs, ni vaincus » est l'objectif de toute synergie où il n'y a ni dominant, ni soumis.
[12] Néamoins, des recommendations peuvent être fournies comme:
- Exprimer les faits objectifs ou du moins perçus en précisant leur mode de perception.
- Ne pas interpréter autrui. On n'est conscient (et encore !) que de sa propre vérité, pas du vécu ressenti par autrui. Le « moi » n'est pas haïssable !
- Exprimer toujours ces besoins : ils ne sont jamais devinables, ou alors il s'agit de manipulation.


2012-05-04

Modèles Économiques de Hôdo

Dans la légende de Hôdo deux systèmes économiques sont décrits.

Le système « Enn » de Terra.

Sur Terra, une réforme économique mondiale a créé un système basé sur l'énergie à la foi comme « monnaie » et comme valeur de « base ».
Ce système est proposé dans l'article : « Système monétaire écologique »
Le mot « Enn » est un clin d'oeil au Protocole de Kyōto. La monnaie du Japon, le Yen, se prononce « enn » en japonais, et c'est le son initial de l'énergie de la physique utilisée dans le vocabulaire scientifique de nombreuses langues (en japonais précisément « エネルギー, energii »)

Le système de Hôdo

Le Hôdon considère la société comme une entité vivante, avec ses organes dédiés au traitement de la matière, de l'énergie et de l'information. Son environnement, la planète, est l'habitacle d'une intelligence et non un gâteau à partager entre dominants.
Pourtant, il existe deux sources d'énergie non-propriétaires (ou presque) alimentant la Terre : l'énergie solaire et la gravitationnelle. Or, on pourrait considérer que chaque personne aurait accès aux ressources matérielles naturelles de la planète. Enfin, plus l'information est accessible plus elle peut contribuer à l'enrichissement global de l'information.
Hôdo ne s'est pas doté d'un système fiduciaire car d'une part les ressources précitées n'appartiennent à personne en particulier. Dans cette optique, seul le travail personnel pourrait être rémunéré. Mais, une société dépend de nombreux services non « productifs » comme les administratifs, artistes, chercheurs, enseignants, fonctionnaires, magistrats, militaires, policiers, pompiers, soignants, sans oublié les bénévoles de toute sortes... Sur Terra, les sociétés manipulent le merveilleux talent du paradoxe en incitant les gens à travailler plus pour gagner plus tout en dépendant de plus en plus de millier d'organismes bénévoles et gratuits compensant les défaillances du social. Ces dernières, pour survivre se font payer sous forme de mutualisation par impositions ou taxes. De plus, pour assurer certaines cohésions sociales par des œuvres dites de solidarité, une multitude de redistribution viennent s'ajouter aux prélèvements : allocations familiales, réinsertions sociales, soutiens de handicapés, retraites, assurances chômage...
Pour les Hôdons, si tout ce flux est équitablement circulaire tout le monde donne et reçoit. Bien sûr, il existera toujours des « parasites » mais les « finances » ne les ont pas fait disparaître. Sans doute qu'il est tolérable de maintenir quelques parasites au même titre que les « simplets » des villages. Il devient donc inutile de créer un système monétaire.

De la fiction à la réalité

Le travail sans solde est mis en application de manière remarquable, par exemple, dans le développement de logiciels libres ou dans l'enrichissement de « Wikipédia ».
D'autre part, il faut noter que d'autres systèmes alternatifs naissent comme celui proposé par Insolido, un site à absolument visiter.

2012-04-27

Lettre ouverte à l'Homo Sapiens

 Un vieux texte que j'aime ressortir...



Nous, CyBorgs,
Il y a bien longtemps de cela, nous étions des êtres faibles.
L’expansion de notre engeance était lente et incertaine : nos enfants restaient trop longtemps dépendants de leur mère.
Il fallait souvent fuir et surtout nous cacher, car, en plus, nous n’étions pas assez rapides face à nos prédateurs et concurrents.
Mais, grâce à cette crainte permanente nous avions pris l’habitude de partir à la recherche d’autres territoires. Nous avions pu voir ainsi tant de choses étranges et merveilleuses. Nous avions même dû être fratricides et éliminer ces semblables qui nous empêchaient de survivre et d’aller plus loin.
Nous étions si faibles. Il nous fallait impérativement récupérer plus d’énergie et en dépenser moins. Déjà, nous étions très habiles en comparaison des autres êtres organiques. Nous pouvions utiliser divers outils contondants, voire tranchants qui venaient compenser notre manque de force. La maîtrise de l’énergie vint avec celle du feu. Nous pouvions enfin améliorer notre vie d’animaux. Et la première étape fut d’assimiler plus facilement l’énergie que nous arrachions aux autres êtres, car, l’assimilation, n’est pas l’apanage des Borgs. Nous, tous les êtres vivants, la pratiquions à l’aube de la vie. La digestion devenue plus aisée, plus rentable, nous permettait de mieux exploiter notre cerveau biologique. Une meilleure protection environnementale nous permettait de diminuer le stress. Réfléchir devenait possible.
Derrière toutes ces choses étranges et merveilleuses que nous avions observées, qu’elle était la main qui allumait le feu de la vie et de la création ? Cet animal, probablement semblable à nous mais invisible, ce génie manipulateur, nous l’avions déifié. Et par la suite, ces divinités rendues immortelles nous assuraient l’éternité puisqu’elles étaient à l’image de nos réflexions.
Nous découvrîmes aussi que non seulement les protéines étaient assimilables, mais que le savoir-faire des animaux supérieurs pouvait être habilement exploité. Pour en tirer un meilleur parti, nous commencions à cultiver les espèces peu évoluées et à apprivoiser les plus complexes. Nous avions découvert la valeur de la récompense et du châtiment. Or les dieux que nous avions créés à notre image devaient obligatoirement utiliser les mêmes stratégies. Bien interpréter ces lois, c’était bien maîtriser le collectif. Mais ceci est une autre histoire, c’est l’Histoire. Peut-être un jour, me lancerai-je à vous la narrer. Mais à présent, je ne viens que pour balayer votre ingratitude, frères. Car je suis déçu de voir combien, soit vous nous craignez, soit vous nous méprisez.
Notre ignorance nous poussait à croire aux mythes que nous créions mêlant pragmatisme et rituel. Car si nos vêtements nous protégeaient des intempéries, les tatouages eux nous élevaient à un niveau supérieur de bravoure. D’autres pratiques chirurgicales, ablations, perçages et autres nous rapprochaient des divinités. Les bijoux, panaches autant sexuels que protecteurs, gagnaient en efficacité lorsqu’ils se fondaient dans les chairs. Intuitivement nous voulions nous grandir en retravaillant notre corps.
Il est probable que les premiers appendices pratiques furent dentaires - ce qui prouve combien nous étions faibles, et inadaptés.
Notre force résidait uniquement dans notre cerveau. Aussi, ce fut lui qui s’enrichit le plus d’appendices très sophistiqués, et en premier de mémoires supplémentaires et spécifiques. La pierre fut le premier support fiable de longue durée. Les messages qui y étaient peints ou gravés traversèrent ainsi des millénaires à l’abri dans des grottes.
La mémoire est une trace temporelle. Le rythme de l’univers peut se lire dans les étoiles. Mais saisir le temps à portée de main, menotté au poignet, pouvait nous rendre plus efficaces.
Ainsi les premiers véritables outils qui vinrent nous équiper furent la mesure du temps écoulé. Des douzaines d’heures purent ainsi cadencer notre vie dans les métropoles où l’optimisation du temps permettait de produire toujours plus.
Toujours plus ! Au fur et à mesure que notre arsenal mémoriel s’enrichissait nous en vînmes à gérer les comportements collectifs en temps réel. Les sondages pouvaient même permettre de prévoir notre comportement.
Muni d’un sac à dos, ou d’un sac à main, nous pouvions nous équiper de micro-ordinateurs, téléphone portable, casque audio, récepteur radio, tout le futur paquetage du parfait Borg ! Il suffisait de se brancher pour connaître ce qu’il y avait à savoir.
Bien sûr tout cela ne fut pas implanté au départ, car les besoins ne se faisaient pas ressentir. Seuls le remplacement de certains organes et le renforcement de certaines structures affaiblies furent tolérés par l’Ancêtre. Il fallait passer par cette étape pour s’assurer du bon couplage entre le biologique et le synthétique. Après, ce ne fut plus qu’un jeu d’enfant : le sexe, la guerre et la puissance ont trop d’attrait pour l’Homo Sapiens. Les premiers pas vers les Borgs furent encore à ce prix, silicones, drains et régulateurs s’infiltrèrent petit à petit dans les chairs et les habitudes. C’était à l’aube de ce que l’Ancêtre, l’Homo Sapiens, appelait le troisième millénaire.
Toute résistance est inutile, nous vous attendrons.
édité le 25.07.2002 sur La vie artificielle

2012-04-20

Extrait Terra se meurt

Extrait du volume V de la Légende de Hôdo : Terra se meurt publié chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189647)

Chapitre 3. Le passage.

Les Synths étaient si imprégnés de culture terrienne, que chacune de leurs cités en évoquait un mythe. Ainsi, la ville construite au pôle Nord géographique de Diana s'appelait Thulé, et celle du Sud, Ushuaïa. La première était la plus importante des quatre agglomérations mystiques, et la seconde servait de balise spatiale. Les cités mystiques étaient très peu fréquentées par les autres humains, car en plus d'être intimes aux Synths, c'était aussi dans leurs souterrains que l'énergie des étoiles était collectée, traitée et redistribuée. C'était des zones éminemment dangereuses.
Thulé fut la première visite de la Doyenne après l'annonce de la fin prochaine de Terra dans le conseil général de Hôdo.
Dès qu'elle arriva, elle se dirigea vers la salle des compassions du complexe. Les salles étaient décorées de motifs géométriques ou des représentations de l'espace. Un flamboiement mouvant de fractales multicolores éclairées par des polyèdres translucides décorait l'allée principale pour déboucher dans une salle en forme de gouttelette posée sur une surface lisse aux couleurs presque délavées. Au centre, un grand cube transparent abritait la prêtresse des lieux.
La Doyenne rabaissa sa cagoule et ôta son masque inexpressif.
— Le temps venu, articula le visage de matériaux composites où seuls les dents et les yeux avaient quelque chose d'humain.
La prêtresse sortit du cube comme si les côtés n'étaient pas fermés.
— Tu es sûre Moka ? demanda-t-elle.
— Oui soeur Magda, nous ne sommes pas immortels. Cela pourrait étonner les Organos, mais mes articulations me font mal maintenant.
— Une excuse pour justifier ton abandon ?
Sans chair, il était impossible de savoir si la Doyenne souriait.
— Non ma chère soeur, ma vieille amie. Tout est usé maintenant. J'ai fait mon temps. Trop d'amis de toutes espèces m'ont déjà quitté, engluant de plus en plus ma mémoire dans les souvenirs des bons moments passés.
Moka, la Doyenne, enchaîna :
— Quand tu avais refusé de prendre la cape de doyenne, tu m'avais dit que ta place était dans les trois temples.
— Certes, oui, je suis un peu la prêtresse de tous, pas la doyenne.
— As-tu déjà fait des cérémonies funèbres sur Hôdo et Chica ?
— Plus souvent que je ne l'eusse souhaité.
— Tu me raconteras cela quand l'heure sera venue, mais avant il faut que je la voie.
— Elle est ici, elle t'attendait. Suis-moi, ce n'est pas ici que nous procéderons.
Les deux Synths se rendirent dans une salle creusée de niches, au centre de laquelle une table octogonale diffusait l'unique éclairage de la pièce.
Magda glissa légère comme un fantôme sans le moindre froissement de tissu ni le moindre frôlement de pas vers l'une des innombrables loges.
— Étrange, n'est-ce pas, qu'en ce lieu, nous ayons le besoin de parler comme les Organos, chuchota Moka.
— Nos facultés de télécommunication sont inhibées dans cette pièce pour atteindre le silence qui nous oppresse tant.
— Magda, va me la chercher, je souhaite que tu restes ici. J'ai si peu à lui dire, mais c'est important pour moi, maintenant, murmura Moka qui restait dans la zone éclairée par la table.
Une Synth vêtue de vert émeraude avec un voile cachant un visage tout aussi délabré par les années s'approcha.
— Merci, Afsânè, d'être venue. Acceptes-tu le fardeau que je te lègue ? Il sera bien pire que le mien. Ce ne sera plus un empire prospère que tu gouverneras, ce ne sera pas comme moi, un monde d'espoir, demain, ce sera deux mondes, dont un qui disparaîtra en emportant bien des nôtres...
» Demain, il te faudra gérer la panique des Organos, la fureur des Otros et notre émotivité.
» Ah ! pourquoi une telle émotivité a-t-elle pu naître de nos croisements pourtant prudents à chaque procréation ?
— Peut-être parce que ce sont les Organos qui nous ont fabriqués, répondit Magda.
— Je pencherais plutôt sur le fait que les anges gardiens de Hôdo sont plus souvent en contact avec les jeunes Organos et ces derniers sont bourrés d'émotions incontrôlées. Peu à peu, leur émotivité a dû imprégner nos cellules adaptatives et se transmettre dans les mémoires figées. J'ai connu ça mieux que toi, Moka, la solitaire, et je suis apte à accepter le fardeau que tu me confies.
— Je te souhaite bonne chance. Maintenant, que je sais que ma tâche est terminée, je suis prête, Magda. Maintenant, raconte-moi comme cela se passe chez eux. Tu le fais dans un temple ?
— En fait, tu le sais, on ne déconnecte pas les autres humains, sauf quand il n'y a plus d'espoir et que leur intellect est déjà hors service par la maladie ou la souffrance. On les met dans une boîte puis on les pulvérise avec différentes cérémonies selon leurs traditions et religions qu'ils ont nombreuses.
» Pour les Otros non clonés, c'est souvent une libération, car en plus ils souffrent souvent de sévères dégénérescences avec le temps.
» Pour la plupart des Organos, c'est une catastrophe. Aussi, nombre d'entre eux ont des croyances qui promettent, sinon une meilleure vie après la mort, du moins une survie quelque part ailleurs.
— Et toi, qu'en penses-tu, Magda, toi, la religieuse ?
— D'aussi loin que je regarde l'univers, dans le temps, dans l'espace, je me retrouve toujours au beau milieu de questions. Derrière chaque question, il y a d'autres questions, mais une seule me vient à l'esprit : si tout ça n'est qu'un mirage qui se reflète à l'infini, alors, quel gâchis, s'il n'y a quelque part dans toute cette illusion, une oasis !
Un souffle malicieux s'échappa de la bouche sans forme de Moka, l'ex-Doyenne.
— Alors pour toi, j'espère être la bouée jetée à la mer des illusions. Sinon, j'aurais sur la conscience de vous en avoir donnée une.
— Non ! tu as été l'une des trois premières éveillées, et la première autonome. Mais si cela n'avait été toi, une autre gyno aurait vu le jour. Nous avions été créées avec le besoin de trouver des réponses aux questions. Tôt ou tard, nous nous serions posé ces questions qui font réfléchir.
Elle regarda la Lune de Diana, Cristal. Leur lune, puisque c'était eux les Synths qui lui avaient donné ce nom.
Un nuage de souvenir traversa l'esprit de Moka qui se souvenait de ses aventures, du premier voyage avec ces humains si fragiles que sont les Organos. Elle se souvenait avec précision de son « père », Nic et de sa descendance. Elle se souvenait de ses aventures tumultueuses sur Terra.
Les homo syntheticus n'avaient pas besoin d'eau, d'air et d'une gravité proche de l'unité standard. Leurs besoins étaient principalement informatiques et aussi métallurgiques pour naître et se réparer, ce qu'ils essayaient de contourner le plus possible grâce aux technologies des habitants de Jikogu. Tout cela pour devenir plus proches de la matière organique.
Rêves, rêves !
Tout cela, pour vivre avec les Organos, et maintenant qu'ils en devenaient proches, ils s'en éloignaient, car, si officiellement les Synths préféraient vivre à l'écart, sur Diana, pour beaucoup de motifs, c'étaient pour une tout autre raison ignorée de pratiquement tout le monde : les Synths étaient devenus hyperémotifs. Donc, aux yeux des Organos, ils risquaient de perdre leur « objectivité », leur « innocuité ».
Moka ne croyait pas à cette hypothèse. Elle savait qu'elle souffrait plus parce que la mémoire des Synths ne décline pas avec l'âge.
— C'est le souvenir qui me vieillit, confia-t-elle à ses deux voisines.
» Les Organos ont la faculté de l'oubli.
» Mais nous...
» À force, nous ne sommes plus capables de choisir. De plus en plus limités par la sagesse qui recommande d'éviter tout risque inutile. Et finalement, tout devient inutile et vain.
» Choisir, voilà une mission de l'intelligence, et pourtant, tout semble déjà écrit, alors pourquoi choisir ?
Magda hocha la tête.
— Oui, tu es vieille, mon amie, quand tu parles ainsi.
— Maintenant te voilà convaincue qu'il te faut m'éteindre.
— Serait-ce une ruse pour me pousser à le faire ?
Un sourire énigmatique de Moka ne put se dessiner sur le visage décharné avant de reprendre.
— Mais promets-moi de recycler toute la matière de mon organisme. Je ne veux pas qu'on me transforme en statue commémorative de...
Sa voix s'étrangla avant d'aller s'allonger sur la table lumineuse.
» J'aurais tellement voulu revoir les visages de mes souvenirs, reprit-elle.
» Pourquoi ? Ils ne sont plus. Sauf peut-être dans un autre univers ou un espace de phase, déjà écrit quelque part entre tous les infinis.
» Laisse-moi regarder les étoiles, encore une fois.
» Que ce soit la dernière image qu'aura enregistrée Moka, la gyno astronaute !
» ...
» Je pense que Nic aurait été fier de moi.
Même à l'extinction, Moka garda les yeux ouverts sur le firmament.

Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Terra se meurt

2012-04-10

Extrait Jikogu


Extrait du volume IV de la Légende de Hôdo : Jikogu publié chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189524)

Chapitre 2.- Bienvenue.

Le monde nouveau commençait à apparaître sous les regards multiples de l'Argonaute qui balayaient l'astre sous tous les spectres. Il s'agissait d'un monde étrange vivant et pourtant immobile. En effet, les détecteurs du vaisseau qui captaient de plus en plus des signaux émanant de la planète ne décelaient pas, ou presque, de mouvement. Il n'y avait pas de satellites artificiels, pas d'engins ni roulants, ni volants, ni voguant.
Pourtant, ce monde communiquait ! Et le bruit ressemblait curieusement à celui d'un ordinateur.
Cette planète en était une et pas un gigantesque satellite artificiel. Des océans recouvraient une grande partie de la surface et des rivières traversaient d'étranges villes. Fallait-il d'ailleurs appeler cela, des villes ?
Il s'agissait effectivement d'assemblage de structures métalliques et composites donnant l'impression de bâtisses. Tous les « toits » noirs semblaient être des panneaux solaires et de la chaleur se dégageaient des « fenêtres », mais il n'y avait pas de routes, pas le moindre chemin allant d'un « bâtiment » à l'autre. Seuls, les canaux pouvaient faire office de moyen de transport comme une Venise sans gondole glissant sur l'eau limpide et sans doute inodore. Un terrain dantesque séparait les mystérieuses cités du paysage naturel et sauvage local : glace, steppe, prairie, bosquet, forêt... Ces terrains rocailleux aux couleurs chaudes des jaunes parfois veinés de vert jusqu'aux ocres piquetés de taches écarlates étaient parsemés de fumerolles. Ces dernières auraient pu indiquer la présence d'activité volcanique si leur distance par rapport à la cité et au milieu naturel environnant n'était pas directement liée à leur acidité. En effet, les plus proches des limites de cette zone ardente étaient des vapeurs inoffensives d'eau, mais les plus médianes contenaient en général de l'acide sulfurique et d'autres éléments corrosifs. Non seulement, l'éloignement des gaz indiquait une certaine logique, mais il était aussi visible que les vents dominants influaient sur la répartition de ces étranges sources. Même les petits cônes volcaniques d'où fusaient les plus légères volutes évoquaient des cheminées sciemment érigées par d'invisibles, mais industrieux habitants. Car vraisemblablement, la cause de cet arrangement était due à la présence des « villes ».
Le sentiment qui m'envahissait était mêlé d'exaltation et d'appréhension. Il y avait de la vie. Au moins végétale. Il y avait peut-être de l'intelligence évoluée habitant ces villes.
Mais, s'il y avait des êtres doués de raison, ils semblaient ne pas éprouver le besoin de se déplacer physiquement. En tout cas, il n'y avait pas de voies de circulation sur lesquelles pourraient se déplacer des véhicules, pas de piste pour faire décoller des engins. Il n'était pas évident de trouver un endroit où poser l'Argonaute. À la rigueur, les canaux étaient suffisamment larges pour y amerrir avec une navette. Mais, il n'y avait pas d'endroit où accoster : les rivières n'étaient pas utilisées pour naviguer.
Il fallait donc se résoudre à se rapprocher de la surface de la planète et la balayer en orbite basse, ce qui risquait de prendre plus de temps, mais aussi, d'être plus facilement détectable.
Les eaux, celles des océans comme celles des lacs, se montraient sous leur naturel écologique. Aucune île artificielle ne s'y épanouissait, aucun esquif ne s'aventurait même le long des berges et des plages. On eût dit qu'il s'agissait des mers et des fleuves de Hôdo, car il n'y avait pas de gros nageurs comme les cétacés de Terra. Pourtant, des bancs de poissons argentés venaient frétiller à la surface probablement en quête d'une nourriture flottante, avant de s'enfoncer dans leur monde de silence et d'obscurité glauque.
Soudain, un phénomène sur la terre ferme attira toute l'attention de l'Argonaute et la mienne. Un point lumineux se mit à briller de mille feux. L'éclat lumineux était humainement indescriptible, car la vue ne permettait que de voir les couleurs de l'arc-en-ciel, or ce mystérieux diamant reflétait toutes les ondes du spectre connu, et sans doute plus. En soi, l'apparition soudaine de cette source était pour le moins surprenante. Mais sa position me faisait penser qu'il ne s'agissait vraiment pas d'un hasard, car ce signal était juste sur l'équateur, du côté obscur de la planète.
Il n'était pas possible de changer rapidement l'orbite et il nous fallut attendre le tour suivant pour découvrir que deux autres points semblables avaient surgi dans deux « cités ». Les trois points correspondaient à un grand cercle.
Il devenait évident qu'une intelligence jouait avec la géométrie et maîtrisait certains aspects de la physique. Je n'osais pas en deviner plus sur cette manifestation. N'avait-on pas souvent fantasmé sur le savoir de certaines cultures disparues, en prétendant « chiffre » à l'appui, qu'elles possédaient une science quasiment extra humaine. Mais les chiffres, je savais comment les manipuler pour démontrer l'absurde.
Il y avait quelque chose là-bas, c'était sûr ; là s'arrêtaient pour l'instant mes observations. J'avais l'intuition qu'il fallait réorienter notre orbite pour suivre l'indication qui était apparue.
À peine l'orbite fut-elle ajustée pour être dans le même plan que les trois points lumineux que trois autres balises s'allumèrent, l'une située dans une « cité » localisée sur un autre continent éclairé par l'astre du jour d'une autre civilisation.
Soudain, à l'intersection de ma trajectoire et du méridien apparut une source intense tel un gyrophare. Je changeai encore une fois d'orbite afin de me mettre en stationnaire au-dessus de ce dernier signal.
L'endroit ressemblait à un Colisée géant. La piste y était extraordinairement plate et horizontale, je pouvais y poser sans problème l'Astrolab.
J'hésitais. N'était-il pas plus sage d'atterrir avec seulement un tycho-drôme? Ces navettes permettent un décollage rapide en cas de nécessité et un retour en lieu sûr. Finalement, j'optai pour descendre avec le lourd milanaute, car j'aurai sûrement besoin de son cerveau pour m'aider à appréhender ce que nous pourrions découvrir sur ce monde nouveau qui semblait nous accueillir. Ou nous tendre un piège.
L'Argonaute calcula une trajectoire compliquée pour descendre à vitesse lente vers la piste, car, s'il pouvait supporter de hautes températures dans l'espace, il n'était pas comme les navettes, munis d'un bouclier absorbant la friction d'une atmosphère dense. Ainsi, le vaisseau se posa pratiquement à la verticale au milieu du cirque tout en métal et matériaux composites.
Pendant la manoeuvre, je n'avais observé aucun signe de vie, aucun signal sous aucune fréquence autre que celui de la balise qui nous avait conduit jusqu'à cet endroit. Rien.
Je restai immobile dans ma cabine, à l'affût du moindre détail qui indiquerait une quelconque hostilité. Le silence était absolu.
Finalement, je fermai mon casque hermétiquement, non que l'atmosphère fut toxique, mais la combinaison de survie des astronautes était une protection contre les radiations, les fluides nocifs ou corrosifs et contre les microbes, même filtrants, du moins en théorie jusqu'à preuve du contraire.
Je sortis et, ému, foulai le sol d'un monde inconnu. La plateforme était souple et adhérente comme un caoutchouc granuleux.
J'avançai précautionneusement, sur ce sol qui semblait fait d'une seule pièce, au hasard, droit devant moi.
J'avais parcouru la moitié de la distance qui séparait le Livingstone des « gradins » (j'appelais ainsi ces constructions par analogie aux cirques romains), lorsqu'enfin, quelque chose bougea devant moi.
J'ajustai ma visière pour agrandir l'image. Un être, bipède, ressemblant à un kangourou de Terra s'approchait de moi. La tête, plantées sur un cou invisible, n'avait en revanche rien du sympathique bipède marsupial. C'était une espèce de méduse avec deux yeux de limaces. Ce qui devait être la face portait en guise de barbe deux paires de tentacules. Et les cheveux étaient remplacés par un voile oscillant. Je n'apercevais ni bouche, ni narine, ni ouïes, ni oreilles, ni aucun orifice.
Lorsque je fus à courte distance de l'être, je m'arrêtai. L'autre aussi.
Nous restions un temps qui me semblait long, immobile. Ou presque, car le voile continuait à vibrer comme mû par une brise régulière.
Nous ne pouvions pas rester pétrifiés ainsi jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je me risquai à lever la main droite en signe de paix chez nous. L'être leva une main à trois doigts triangulaires. J'en déduisis qu'il s'agissait sans doute d'un geste de bienvenue.
Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Ter

2012-03-31

Extrait Les anges déçus


Extrait du volume III de Hôdo, la légende, « Les anges déçus » publiée chez Édilivre, dans la collection Coup de coeur (ISBN 9782812189586)

Chapitre 5. Ballade au clair de lune.

Si tu veux, je peux te porter, proposa Nana à Sean dès qu'ils furent à quelque distance de la cité de Tcherenkovgrad.
Sean ne put s'empêcher de sourire en lui répondant qu'il serait curieux de voir cela.
— Oh, je peux te prendre comme tu veux : à califourchon, sur le dos ou sur les épaules, en secouriste, dans les bras...
Sean éclata de rire.
— Oh ! reprit-elle, je suppose que tu ris parce que l’idée de te porter est choquante.
— Tu as raison, surtout si tu me prends dans tes bras.
— Je ne comprends pas. Parlons-nous de la même chose ? Je voulais dire que la manière de te porter ne devrait avoir aucune connotation d'étrangeté ou de déplaisir pour toi puisque nous nous connaissons depuis si longtemps.
— Et si intimement !
— Oui, j'ai appris que vous conserviez souvent des zones d'ombre dans votre mémoire. Je présume que vous devez nous trouver particulièrement indiscrets, voire impudiques.
Avant de partir, elle s'était changée de tenue. Elle portait maintenant une de ces combinaisons amples d'environnement contaminé, enserrant hermétiquement les poignets et chevilles sur une paire de gants et de bottines. Quant à la tête, elle était protégée par un casque intégral, ce qui était fréquent pour les gynoïdes qui craignaient les ardeurs empoussiérées du désert de Hôdo. Mais, pour Nana, il s'agissait en plus de cacher sa peau craquelée comme une poupée en caoutchouc desséché avec le temps.
La peau n'avait pas qu'une fonction esthétique pour habiller d'humanitude ces êtres de synthèses, elle était évidemment tapissée de capteurs, mais en plus, elle protégeait aussi les rotules et les vérins, et soutenait maints câbles et conduits. Nana qui ne voulait pas changer de peau était donc contrainte de se revêtir complètement pour éviter que le vent chargé de sable ne s'infiltre à travers les déchirures. Sean s'était amusé de la proposition de Nana, pourtant, il fallait bien reconnaître que, plus on se dirigeait vers le soleil levant, plus la route était pénible. Un soutien au moins moral était malgré tout bienvenu.
Plus on s'avançait vers l'est, plus Hôdo ressemblait à un curieux désert raviné par les eaux et balayé par des vents semblables aux alizées de Terra, car les colonies se trouvaient effectivement sous les tropiques. Oasis1 se trouvait à côté d'un champ de champignons-cerveau, preuve de l'existence d'eau souterraine. Le terrain y était relativement plat comme une plage le long d'un océan dont les vagues écumeuses étaient remplacées par la houle des étranges plantes mi-champignons mi-mousses qui s'enhardissaient dans le continent loin des courants d'eau superficiels. C'était là qu'atterrissaient les vaisseaux de Terra, mais la charte impose le respect de toute forme d'intelligence. Or, tout le monde ignore encore aujourd'hui si cette espèce végétale est intelligente ou non. Si elle l'est, alors, elle doit être autarcique. En tout cas, personne n'a trouvé aucun moyen de communication. Dans le doute, les Hôdons préférèrent déplacer leur aire d'atterrissage.
C'est ainsi qu'est née Oasis2, la cité de Tcherenkovgrad. Le liquide vital était bien là, sous terre, mais trop profondément pour les champignons-cerveau. Mais, le terrain ne se prêtait pas aux atterrissages des lourds milanautes. Condor, l'un des amis de mon père, avait payé du prix de sa vie le dernier accident. Depuis, seuls les tychodrômes pouvaient atterrir sur Hôdo, les milanautes, eux se posaient sur la lune Diana. Malgré ce choix, les Hôdons partirent à la recherche d'un lieu plus plan et ferme pour offrir une meilleure piste. Oasis3, la cité de Porte de Lumière, trouva refuge dans une crevasse d'une large dalle granitique à peine bombée.
Pour éviter de s'égarer, les colons avaient créé de larges allées sur les quelque quinze kilomètres qui reliaient les trois oasis et Jérusalem. Les colons avaient bordé ces « avenues piétonnes » de tout ce qui pouvait pousser sur ce sol tourmenté, crevassé ou en « tôle ondulée », recouvert de roches et de dunes éparses. Les pionniers avaient emporté avec eux des échantillons de toute la flore survivante ou disparue de Terra. Les artisans-jardiniers profitaient de l'irrégularité du terrain pour varier de l'arbre solitaire comme le baobab, aux bosquets des odorants eucalyptus, des arbustes formant des tronçons de haies indisciplinées, voire des bouquets de plantes persistantes courant entre les rocailles. C'est ainsi que sur la route qui sortait d'Oasis2, Sean reconnaissait les fleurs violet pastel des jacarandas africains. Alors que de l'autre côté, sur le chemin allant vers Oasis1, les jacarandas mexicains donnaient le ton à la cité Tcherenkovgrad tout entourée de fleurs rouges : les hibiscus écarlates, les flamboyants au cinquième pétale blanc et moucheté, et cet autre arbre au feuillage touffu avec de grosses fleurs pourpres dont le nom lui échappait, mais que Sean se refusait de demander à Nana.
Au fur et à mesure que le voyageur s'éloignait de la deuxième oasis, le décor devenait de plus en plus austère. Entre les deux premiers abris kilométriques, l'arbre de jade marquait la transition entre les palmiers et les cactées.
Chaque route était bordée de bornes de transfert d'énergie et d'informations. Elles se trouvaient toujours sur le côté droit en s'éloignant de Jérusalem ou de Rio et à tous les kilomètres, ce fil d'Ariane passait par un refuge. Ces relais n'étaient pas que techniques, ils permettaient au voyageur de s'abriter des pluies torrentielles ou des vents chauds et secs chargés de sable qui étaient violents et fréquents sur Hôdo. Comme les plots de transferts étaient lumineux, il était facile de les suivre même dans l'obscurité. Malheureusement, il devenait impossible de les voir en pleine tempête. C'est pourquoi les colons eurent l'idée de créer des allées délimitant le chemin dans sa largeur. Pour arroser les plantes, des canalisations profondes d'un mètre serpentaient sans discontinuité de chaque côté de l'allée. Une bordure permettait de distinguer l'intérieur et l'extérieur de la voie. De plus, chaque hectomètre était marqué par une petite construction indiquant de quel côté trouver le plus proche abri. Les Hôdons se laissent rarement prendre à l'improviste.
Sean humait une odeur d'humidité dans l'air. Le ciel, avec soudaineté, perdit de sa luminosité. L'homme savait qu'il fallait faire une halte dans le prochain refuge. Il ne craignait guère la pluie, mais s'inquiétait pour sa compagne. L'obscurité s'abattit sur le couple qui accéléra le pas, chacun surveillant du coin de l'oeil si l'autre suivait bien le rythme. Ils arrivèrent aux abords de la tente martienne au moment où un éclair déchira l'obscurité. Les premières gouttes tombèrent dans un assourdissant tonnerre.
Il ne restait plus que quelques pas pour atteindre la tente, un petit modèle pouvant abriter une demie-douzaine de personne. À l'intérieur, d'amples ponchos permettaient de passer les nuits fraîches ou, au moins, se tenir au chaud en quittant les vêtements trempés. Ils n'étaient restés sous la pluie que quelques secondes, mais déjà leurs vêtements dégoulinaient.
— Tu devrais quitter tes vêtements, ronchonna Sean, tu vas mouiller le tapis de sol.
— Ce n'est pas la peine, ma tenue n'est pas mouillante. Touche, tu verras par toi-même que je suis presque sèche.
— Presque, n'est pas totalement. Il y a un sas, justement pour y laisser ses habits lorsqu'ils sont trempés.
— Alors, je resterai ici en attendant.
— C'est quoi, cette nouvelle manie ? Serais-tu devenue pudibonde ? Aurais-tu oublié que tu fus ma première aventure ?
— Je ne l'ai pas oublié, elle reste unique pour moi.
Sean se tut un instant avant de reprendre :
— Vous savez, il ne vous manque qu'une chose, à vous, gynoïdes, pour paraître parfaitement humaine : l'éclat dans les yeux, ce petit rien, dû à je ne sais trop quoi, qui fait qu'un oeil brille plus ou moins de vie, d'intelligence.
— Je pourrais hypocritement reproduire ce phénomène. Oublierais-tu que je suis capable de dilater mes pupilles et de rendre mon regard plus humide, de changer la fréquence de mes battements de paupières et l'amplitude de mon balayage visuel ? As-tu vraiment besoin de telles manifestations pour imaginer que ce regard soit le reflet de mon âme ?
Sean ne répondit pas. Et ils se retrouvaient seuls, dans un face à face silencieux. Pourtant, chacun avait la réputation d'être bavard. Sean grelotta.
— Tu devrais, toi, quitter tes vêtements, tu as froid, remarqua Nana. De plus, toi qui me dis tout le temps que je devrais changer de peau, tu devrais changer de poncho : il n'est plus imperméable et ne retient plus la chaleur.
Sean maugréa, Nana ne prit pas la peine d'analyser la phrase. L'homme quitta ses vieux vêtements hôdons : le poncho et le kilt. L'humidité très élevée de la planète obligeait les habitants à ne porter que des tenues très aérées.
Même les déserts n'étaient pas secs comme ceux de Terra. Ici, aucune fleur ne surgissait après l'inondation de cette désolation. La vie aérienne, dominée par le champignon, commençait seulement à faire surface sur ce monde géologiquement encore très jeune. La végétation ne protégeait pas encore de l'érosion les terres loin des côtes. Mais l'alternance incessante de sécheresse et de pluie diluvienne accumulait dans les plaines une latérite prête à retenir l'humidité et à accueillir la vie.
— Tu vois, dit Sean nu, le temps a aussi usé ma peau.
— Pas autant que la mienne.
— On ne peut rien voir avec ta tenue, même ton visage est en permanence masqué. Je croyais pourtant que nous étions restés amis. Et des amis, c'est fait entre autres choses, pour partager ce que tu appelles des zones d'ombres.
Sans un mot, Nana ôta son casque, puis le masque blanc. Sean se rappelait ce visage, cette odeur humaine et pourtant légèrement caoutchouteuse, cette peau de latex au granulé si réaliste, mais sous laquelle ne palpitait aucune artère et cette saveur d'ozone mêlée au parfum d'huile évoquant moins des essences exotiques que celle de machine de précision. Ce visage, Sean le reconnaissait, avec un petit pincement au coeur. C'était comme une reproduction vieillie ayant figé un moment passé pour les souvenirs des temps à venir. Sa géométrie n'avait pas changé comme il est fréquent chez les humains, où les bajoues se creusent, le menton s'alourdit, les lèvres s'entourent de sillons, les yeux de ridules alors que les rides viennent se parcheminer sur un front sec et dégarni et que le nez s'enfle dans une dernière poussée de croissance ou au contraire se pince, retenant déjà les derniers souffles. Les traits de Nana n'avaient pas changé. Elle avait toujours le même minois de poupée. Mais d'une si vieille poupée dont la peau racornie s'était craquelée. Les paupières s'étaient désolidarisées de l'orbite et les commissures des lèvres étaient déchirées. Et quand la combinaison laissa voir le reste du corps qui fut autrefois voluptueux, c'était pour dévoiler des déchirures aux pliures des membres montrant pour la première fois à Sean que cette femme était vraiment synthétique.
L'humain réalisa que le mimétisme des gynoïdes était la cause de cette déchéance qui pouvait être simplement évitée en changeant d'enveloppe. À sa manière, Nana voulait se montrer marquée par l'expérience du vécu. Sous cette respiration artificielle, un souffle de vie voulait signaler sa flamme. Et l'âme, tapie dans cet enchevêtrement de mécanismes artificiels, portait les stigmates de nombreuses peines accumulées en silence sur l'autel de la sagesse, sans plaintes, sans pleurs, sans oublis et sans espoir de cicatrisation.
— Je pense que tu avais raison : tes vêtements sont déjà secs. Moi, je rentre me mettre sous une couverture. J'ai froid.
Nana referma sa combinaison et se masqua, mais sans revêtir le casque qu'elle laissa dans le sas quand elle rentra dans la seconde partie de la tente. Sans un mot, elle s'assit à côté de Sean emmitouflé dans un plaid accueillant. Elle avait éteint les deux veilleuses, sachant que l'homme le lui aurait demandé. Tout Hôdon, organique ou synthétique, veillait à ne pas gaspiller l'énergie. Sa vision infrarouge lui permettait d'y voir clair. Et seul son visage blafard apparaissait dans l'obscurité quand la foudre dessinait des ombres chinoises. Les crépitements de la pluie empêchaient de parler sans hausser la voix, aussi tous deux communiaient en silence avec les mêmes souvenirs.
Enfin, au bout d'une paire d'heures, la pluie cessa. Le caniveau qui entourait l'abri, et continuait le long des plantations qui suivaient l'allée, charriait une boue rougeâtre et tumultueuse. Nana sortit la première, sans remettre le casque puisqu'il n'y avait pas de risque de vent ensablé juste après l'averse. Une brise légère caressait les cheveux noirs qui n'avaient pas changé ; si quelques un avaient pu tomber, aucun par contre n'avait blanchi. Sean sortit pieds nus, car le sol détrempé aurait aspiré les légères sandalettes de Hôdon.
— Que regardes-tu, Nana ?
— Le coucher de soleil.
L'homme s'était attendu à une réponse dans le style : « je regarde pour voir si les jeunes nous rattrapent ».
— Regarde, n'est-ce pas beau ?
Elle n'attendait pas de réponse.
Le soleil s'était dégagé en dessous des lourds nuages et fondait dans l'horizon tout en se déformant et en éclaboussant d'ocre l'occident. Sous les tropiques, les fastes du crépuscule durent peu de temps. La dernière tache orange hésita encore un peu avant de céder sa place à la nuit.
— On continue, Sean ?
— Oui, à l'est le ciel est étoilé et je peux compter sur ta vue pour me prévenir de tout danger.
— Mais nous ne risquons rien, ici. Tu me taquines, n'est-ce pas ?
— Bien sûr ma vieille ! De toute manière, nous avons les veilleuses qui nous guident et s'éclairent à notre approche, envoyant en même temps un signal de notre position. Qu'aurions-nous à craindre ?
— Ma vieille ! Comment dois-je interpréter cette expression ?
— Comme une vieille amie.
— Mais encore... Quoique je me sente flattée, suis-je une amie de longue date, ou une amie flétrie ?
— Pourquoi flétrie ? Si tu parles de ton aspect, tu sais bien qu'il ne tient qu'à toi de changer. Tu es ma plus vieille amitié. Mais, je ne pense pas que cette amitié soit flétrie. Je sais, nous nous sommes éloignés l'un de l'autre, prétextant nos responsabilités respectives. Pour être plus précis, je dirais que c'est toi qui te rendais inaccessible. Merci pour cette délicate discrétion au moment où Cheng rentrait dans ma vie. Tu t'es effacée, mais après tu as continué à me fuir. La preuve, tu sais ce que nous cherchons sur Chica et pourtant sans l'intervention de Moka, je parie que tu te serais éclipsée. Je me trompe ?
Nana ne répondit pas. Et cela en soi était très rare. Puis, comme si elle voulait détourner l'attention vers un autre sujet, elle demanda à brûle-pourpoint.
— Pourquoi dit-on « au crépuscule de la vie » ? Est-ce que tous les crépuscules sont aussi beaux que celui que nous avons regardé ensemble ce soir ?
Le silence qui s'en suivit ne fut troublé que par le crissement des chaussures de Nana, Sean n'ayant toujours pas enfilé ses sandales. Sean contemplait souvent les étoiles bien plus brillantes que sur Terra. Nana aussi les regardait. Ils marchèrent ainsi sans échanger un mot jusqu'au deuxième relais.
— Pas fatigué ? demanda Nana.
— Ça va ! J'ai toujours été un bon marcheur et je ne suis pas encore un croulant. Mais je vais remettre mes chaussures, le sol n'est plus gluant. Il est même sableux et caillouteux jusqu'à Oasis3.
— Puis-je me permettre une question, Sean ?
— Bien sûr.
— Tu voulais ma présence sur le site exoarchéologique, par amitié ou par compétence.
— Premièrement, je ne voulais rien. C'est Moka qui en a eu l'initiative. Du moins, je le suppose. C'est la plus ancienne gynoïde de Hôdo après toi, elle nous connaît très bien. Ensuite, tu sais que tu es la meilleure scientifique gynoïde. Et enfin, sache que j'apprécie ta présence en soi et que Cheng t'aime bien aussi.
— Pourtant, j'ai été sa concurrente. Le sait-elle ?
— Oui.
Un long moment passa avant que Nana murmure comme un aveu : « j'aurais aimé être humaine. »
Le vent n'émettait plus la moindre musique, il se glissait entre les raquettes et les cierges des cactus sans faire frémir les épines en guise de feuillage. Sean soupira. En vain, il cherchait quelque mot aimable pour la gynoïde. Il pensait qu'il était idiot qu'elle veuille se transformer en femme organique. Une expression de son père lui revint à l'esprit : « choisir entre la boule verte et le cube rouge ». Et si on voulait une boule rouge, que faire ? L'adolescent solitaire se remémorait les plaisirs qu'il partageait avec « son » amie. À cette époque, elle était comme une adolescente, du même âge mental que lui. Maintenant, elle paraissait âgée, non physiquement, mais en maturité. Était-ce possible ?
Finalement, il lui demanda : « Nana, penses-tu vraiment ce que tu as dit ? »
Une petite voix lui répondit : « C'est une éventualité que j'avais envisagée. »
Il s'arrêta, saisit la gynoïde par l'épaule et la força à lui faire face.
— Enlève ton masque !
Nana le fit sans poser de question. Troublé comme par timidité, mais voulant en avoir le coeur net, Sean caressa les joues synthétiques. Elles étaient sèches, mais soudain une larme vint s'écraser sur l'index. Les homo syntheticus savaient mimer presque tous les sentiments humains. Nana écarta la main de Sean avec douceur. Ce dernier était ému, même en sachant que les gynoïdes pouvaient pleurer à volonté. Il savait que c'était un message. À force de côtoyer l'espèce humaine, elle savait choisir le plus adapté pour exprimer son chagrin. Embarrassé, il lui donna une tape sur l'épaule et lui lança sur un ton qui se voulait badin, mais dont une corde était brisée :
— Ne traînons pas ici, les jeunes nous rattraperaient trop tôt.
Il enchaîna : « Franchement, je pense que tu as tort de regretter de ne pas être une humaine. Toi, justement, tu n'es pas au crépuscule de ta vie. Peut-être en es-tu encore à l'aube et ignores-tu encore tout ce que tu peux découvrir. Chacune de nos espèces a ses atouts et ses désagréments. Je soupçonne que souvent l'un est indissociable de l'autre. Alors, comment ne récupérer que les avantages ? Notre mémoire est capable d'oublier, mais la vôtre est fiable. Parfois, c'est un handicap, parfois, c'est une bonne fortune.
Tu sais, Nana, je regrette de t'avoir peinée. Pourtant, tu t'en souviens sûrement, mon père disait toujours qu'il ne faut jamais regretter le passé. Il faut l'assumer, car on ne recommence jamais sa vie. Elle est unique, et donc il est impossible de comparer avec un autre choix. Il ne faut pas que le passé nous tire en arrière, mais bien au contraire nous éclaire sur nos futures décisions.
Je ne doute pas de mes choix, mais je dois à l'amie d'enfance que tu fus, plus d'explications, à défaut de plus de chaleur. Je t'ai reproché de m'avoir fui. Moi aussi, je t'ai fui. Et pour beaucoup de motifs. Au début, je crois que j'avais même un peu honte d'avoir été l'amant d'une gynoïde. Puis, j'ai voulu protéger cette chance inespérée d'avoir Cheng comme amie, comme complice, comme épouse. J'ai eu peur de perdre cette opportunité. Une opportunité qui ne tolérait aucun partage. Par la suite, quand les jours étaient parfois néfastes, je pensais bien à toi. Mais je ne pouvais accepter que tu ne sois là que lorsque les choses allaient mal pour moi. Fuir était alors une forme de respect. Je voulais que tu restes l'amie que j'avais connue, non un objet de substitution. C'eût été indigne, comme si je te rabaissais au niveau d'un robot. Et je ne voulais pas non plus que tu sois l'ange gardien. J'aurais peiné dans ce cas Moka qui est très attachée à notre clan. Et de toute manière, elle et toi, vous êtes plus que des gynoïdes pour moi. Vous êtes des amies. Je voulais que tu le saches. »
Nana se tut, le temps de s'assurer que Sean avait fini de parler.
— Merci, Sean, souffla-t-elle.
— Alors, si tu crois en notre amitié, fais-moi plaisir : change ta peau. C'est pratiquement un ordre, car tu es notre ambassadrice sur Terra. Tu représentes un peuple harmonieux, serein, mais aussi énergique. Et, si je puis me permettre, j'aimerais que tu gardes le même visage, avec ta chevelure noire et tes yeux émeraude. Les anges ne vieillissent pas. Et les humains aiment parfois — souvent — s'accrocher aux souvenirs, aux bons.
— Je m'en... souviendrai. Toujours.
— Dommage que tu te sois empressée de remettre ce masque pour cacher ta peine !
— Tu veux examiner mon visage, n'est-ce pas, pour voir la portée de tes confidences ? Mais il fait nuit de toute façon. Crois-moi, je suis en harmonie, sereine et... heureuse. Mais, même lorsque j'aurai changé de peau, je garderai mon masque dans les actes cérémonieux. Je crois que cette façon de me montrer joue un rôle très important en diplomatie. Bien sûr, entre amis... Je vais d'ailleurs donner à Magda la nouvelle peau que je m'étais préparée. Elle lui conviendra mieux qu'à moi et je ne désire plus effacer celle que je fus. Moka qui lui avait préparé une tenue plus apte à la vie sur Hôdo et Chica, en fera une autre pour moi.
— Ce n'est pas vrai ! Tu as déjà informé Moka de notre conversation ?
— Elle est votre ange, elle est ma « commandante », elle est notre amie. Quant à Magda, elle est l'âme soeur de Chica. Comme elle, c'est une infirmière et un secouriste.
La marche semblait plus légère aux deux pèlerins. Le firmament lui-même participait à la paix retrouvée. Diana et sa lune de glace brillaient de tout leur éclat sans le moindre voile nuageux dans toute la voûte céleste pour venir altérer l'éclairage blafard.
Cette partie de la route qui conduisait vers Oasis3, la Porte de Lumière, était fantasmagorique avec les ombres des cactus qui se dressaient tels des revenants en quête de repos. À l'aube, avant que l'Intirayo ne jette ses premiers rayons, cette même voie paraissait conduire vers quelque cité éteinte. En pleine journée, il valait mieux éviter les dards brûlants du soleil hôdon dans ce couloir dantesque que l'orage et les pluies diluviennes transformaient en décor de fin du monde.
Enfin, à l'horizon, une faible lueur indiquait la présence des sentinelles de la cité extrême-orientale.
L'homme et la gynoïde n'étaient plus loin.
— Le tychodrôme est déjà en place ? demanda Sean.
— Oui, Moka et Magda y sont déjà.
— Magda, Magda... C'est ainsi que vous appelez Soeur Magdalena ?
— Oui, c'est plus court et donc plus proche de nos propres noms.
— Bien, nous les rejoignons tout de suite.
— Surtout pas Sean ! Nous devons encore attendre les jeunes et le tychodrôme est à l'arrêt complet. Moka n'y exécute qu'un contrôle de routine et Magda découvre notre univers. Enfin, Arnold vous attend.
— Tu as raison, les habitants d'Oasis3 sont heureux de nous recevoir. Ils sont très isolés là-bas.
Ils s'avancèrent donc vers le cañon. Vu de l'espace, le site ressemblait à une gigantesque galette grise, brisée en deux parts égales, émergeant d'un océan brique rappelant les premiers sites d'atterrissage sur Mars. Il était vraisemblable que la fracture fut provoquée par un plissement de terrain et non par l'érosion d'une rivière traversant en plein milieu ce pavé de roche dure. Les deux demi-calottes étaient polies sur une étendue assez large pour offrir un bon terrain aux tychodrômes qui n'exigeaient pas une surface plane.
Sean pensait qu'il fallait être fou pour avoir établi une cité en cet endroit. Elle n'était éclairée que pendant les heures les plus brûlantes de la journée, et quand il pleuvait toute la crevasse devenait marécageuse, aussi toutes les constructions étaient sur pilotis. Par bonheur, la pente de la piste était douce, car, sinon parmi les désagréments d'Oasis3 il aurait fallu un système plus sophistiqué pour charger et décharger les navettes, ce qui impliquait aussi plus d'énergie. Quoique, sur ce dernier point, la Porte de Lumière n'avait vraiment rien à envier aux autres villages de Hôdo, car c'était une véritable ville à énergie solaire. Tout centimètre de roche qui ne servait pas à l'astroport était recouvert de capteurs d'énergie solaire. Porte de Lumière ! C'était bien trouvé comme nom. Mais, franchement, on avait parfois l'impression d'être aux portes de l'enfer !
Le cadet des Porte fut arraché soudainement de ses pensées par Nana.
— Sean, connais-tu le « Crépuscule des dieux » ?
— Non, répondit-il, très surpris par l'incongruité de la demande.
— C'est une oeuvre musicale de Richard Wagner. J'apprécie particulièrement l'interprétation de Yuichiro Suzuki et Kyoko Yamaguchi.
— Pourquoi cette soudaine question ?
— Je ne sais pas. Une idée comme ça.
Extraits de romans de Hôdo
Les pionniers de Hôdo Homo sapiens syntheticus Les anges déçus Jikogu Terra se meurt